dimanche 19 février 2017

La Graciosa suite et pas fin.

Dimanche 29 janvier 2017,

Claudie et moi sommes arrivés hier à Arecife.
Ce matin, nous avons visité le  château «  Castillo de San Miguel » du vieux port où plusieurs voiliers sont  mouillés dans un environnement sympathique. Tout proche , un centre-ville piétonnier est organisé autour de la lagune «  El Charco ».



               Vieux port d’Arecife avec mouillage peinard au pied du château.



En soirée, trente secondes après être descendus du bus, Claudie et moi avons embarqué sur la vedette catamaran de transports de passagers entre Orzola au nord de Lanzarote et La Graciosa  pour une traversée de 30 minutes. Nous sommes 4 ou 5 passagers à bord!
J’avais laissé Java au ponton à la mi-octobre. J’ai toujours une certaine appréhension quand je vais retrouver mon bateau après une absence prolongée.
Nous entrons dans le port de Caleta Del Sebo et j’aperçois  le mât caractéristique de Java toujours au même endroit. La bête est toujours à flot.
Quelques instants plus tard, en arrivant devant Java, je ne vois rien à signaler. Tout est en ordre, la bête n’est pas blessée. Un pare battage s’apprête à lâcher, un support de la sangle de tension de la capote a lâché, c’est tout. Donc tout va bien. Todo va bien.



                       Le joli port de Caleta del Sebo au coeur de la « ville ».


Nous sommes bien en hiver, même aux Canaries. L’île est très calme, les pontons se sont bien vidés. Sur le feeling 32 voisin tribord, un jeune couple de bretons s’adonnent quotidiennement aux joies de la glisse ( surf, kits-surf,  planche à voile… ). Ils sont tombés amoureux de l’île, de ses abords et des multiples spots.
Sur le bateau en acier de 32 pieds, voisin bâbord, Philippe, retraité,  avait ( comme moi) pris une place aux pontons pour 6 mois ( environ 950 euros). Il rentrait en France en laissant son voilier bien à l’abri dans le port de la Caleta del Sebo et pensait revenir assez rapidement. 

El viernes,  2 de febrero de 2017,

La Graciosa est toujours aussi belle, les côtes extraordinaires et les points de vue permanents magnifiques. Tout est bien, rien n’est à jeter. L’archipel mérite bien d’être une réserve naturelle  ainsi que marine.



                                                   Ombres et lumières.


Cet après-midi, vers 15 heures, nous sommes partis pour une petite ballade sur le chemin côtier vers Petro Barba. Nous avons emprunté une des larges rues ensablées, bordées de petites maisons toutes blanches , le plus souvent mitoyennes et de plein pied ( pas une maison, ni habitation de plus de deux étage sur l’île). Nous sommes passés en haut de la cale du petit port où hivernaient une vingtaine de barques multicolores. Puis nous avons marché sur l’étroit chemin balisé par des pierres de lave. Devant nos yeux, à moins de un mille, les hautes falaises de Famara ( 500 mètres à pic) sur Lanzarote semblaient nous protéger. Vers le centre de l’île, quelques touffes de diverses plantes dont quelques unes fleurissaient timidement de rouge, de rose, de jaune, de blanc … poussaient au milieu des vastes étendues de sable  ondulées qui finissent au flanc des cônes volcaniques bien plus sombres. Les contrastes de couleur étaient marqués entre les multiples nuances de bleu ( de foncé à clair, de chaud à métallique), le noir des pierres, le blond du sable, le vert foncé des plantes, le grand bleu du ciel, la clarté de l’atmosphère. Le silence était  envoutant: pas un bruit, ni de voiture, ni d’animal, ni de paroles, ni de bateau, … Rien. Du silence parfois interrompu par le cri d’un oiseau ou le frémissement de la végétation. Un petit vent tiède caressait le visage et le soleil réchauffait. Parfois un lézard gris regagnait prestement sa cachette. Plus loin,  un  petit papillon jaune semblait rechercher vainement une fleur à sa convenance. Nous avions eu une attention toute particulière pour les oiseaux présents en petit nombre. Ce jour, nous avons noté des goélands argentés, quelques courlis corlieux, des tourne-pierres, des gravelots, des pluviers argentés, 2 ou 3 chevaliers gambettes remuant sans cesse leur corps, quelques pipits des Canaries volant rapidement en piaillant de buisson en buisson et enfin une huppe fasciée .



              Le vieux port à la sortie du bourg sur la route de Petro Barba.


Au retour sur Java, j’ai décidé de nager dans le port avec ma combinaison, mon masque et mon tuba. Pendant une bonne demi-heure, je me suis régalé dans cette eau plutôt claire. Le long du tombant de la jetée, j’ai pu admirer des centaines de poissons, une bonne quinzaine d’espèces dont beaucoup de mulets, quelques bars,  quelques seiches, des vieilles toutes colorées, des poissons bleus , gris, multicolores, striés  …   Et puis, au retour à 20 mètres de Java et quelques mètres de moi, par 3 ou 4 mètres de fond,  une énorme raie de 2 mètres de diamètre (4 mètres avec la queue) se déplaçait avec beaucoup d’élégance ( comme un vol d’oiseau très lent) en se posant de ci de là ( il s’agissait d’une «  chucho negro »  ou « Taemura grabata » pour les scientifiques). 
Voilà La Grasiosa, c’est un minuscule monde perdu au bout des Canaries, si particulier, tellement sobre mais si riche en même temps. Au coeur de l’hiver, l’eau est à 17° et l’air à 18-20°, le ciel souvent dégagé et  bleu, les nuages s’accrochent aux sommets et donnent parfois quelques gouttes ( il a plu au moins 3 minutes 30 depuis 1 semaine). 

Lundi 6 février,

Aujourd’hui, nous avons quitté Caleta del Sebo à 11 heures pour une ballade à pied le long du chemin côtier jusqu’à  Petro Barba, ancien petit port de pêche exploité pendant quelques dizaines d’années par quelques familles puis délaissé dans les années 1970 avant de devenir un lieu de résidences touristiques sans aucun commerce. Nous sommes en basse saison et le village était vide et triste malgré les maisons mignonnettes mais fermées. 



                                                       Petro Barba.


La ballade est magnifique, pleine de contrastes entre les couleurs sublimes et changeantes de la mer (s’étalant des bleus aux verts), celles noires du rivage rocheux et des cailloux qui parsèment une étendue de sable blond, parsemée de touffes de végétaux, celles plus chaudes des petites plages blotties au fond des petites anses, celles plus marron des cônes volcaniques striés. Au fil de la marche, une dizaine de petites plantes fleurissaient dans cet univers sec, quasi désertique.  Quelques  criquets sautaient de touffes en touffes, quelques lézards fuyaient précipitamment, quelques pipits des Canaries chantaient en vol … La faune et la flore semblaient s’exposer en pointillé comme essayant de se ménager. La nature est simple, sobre, parcimonieuse mais belle. 
Nous sommes revenus par une piste de sable et de cailloux qui longe le grand cône volcanique de l’île, «  La Abuja Grande » culminant à 266 mètres dont la partie basse avait servi de carrière de pierres.  Nous sommes passés le long et au milieu d’une bonne vingtaine de grands jardins potagers perdus dans une vallée. Malgré la présence de multiples arrivées d’eau avec compteurs, la plupart de ces jardins étaient abandonnés, presqu’au moment où le gros problème d’approvisionnement en eau était réglé,  mais la terre est basse et l’exploitation touristique probablement plus rentable que l’agriculture. 



Mercredi 8 février,

Le dernier carénage de Java avait été effectué en mai dernier au moulin blanc à Brest, sans application d’antifouling ( il y a 8 mois). aujourd’hui, j’ai échoué Java à la petite cale  de carénage au fond du port à La Graciosa et loué un nettoyeur haute pression  à la coopérative des pêcheurs. Les oeuvres vives étaient dégueulasses. Le nettoyage a été efficace et Java  a reflotté, toujours sans antifouling mais propre.





                                Java après nettoyage: pratique le biquille.


Jeudi 9 février.

En début d’après-midi, claudie et moi décidons de nous promener vers le sud de l’île. Les alizés assez forts dégagent le ciel et le soleil est bien présent. La mer est haute et nous marchons le long de la côte ou sur le rivage, la plupart du temps dans le sable: tout d’abord la longue plage de Playa del Salado et son lagon peu profond de marée haute, puis Playa Francesca et enfin le petit joyau de Playa de La Cocina  à 4 kilomètres du bourg. La Playa de La Cocina, au bas de la Montana Amarilla ( hautes falaises abruptes et jaunes de près de 200 mètres de haut),  blottie au fond d’une petite baie face à Lanzarote, noyée dans un décor fabuleux de sable blond, de rochers volcaniques noirs, d’une eau aux couleurs multiples et chaudes , est une des plus belles plages que je connaisse. Quelques personnes profitaient du soleil allongées sur la plage, quelques surfeurs prenaient les vagues à la Punta Marrajos et quelques promeneurs empruntaient les sentiers côtiers. 
Puis nous avons contourné la Montana  Amarilla pour rejoindre le sentier très étroit qui en permettait l’escalade. La pente est abrupte et les pieds se dérobent dans un éboulis très fin dont les petits cailloux se fichent sous la plante des pieds.  Arrivés presqu’en haut, le fort vent d’une trentaine de noeuds nous entraine dans des embardées sur l’étroit chemin de crête bordé de ravins qui nous conduit au point culminant …  seulement à 172 mètres de haut mais avec une impression d’être plus de 10 fois plus haut. Claudie en a presque le vertige. 




                        Panorama fabuleux du haut de la Montana Amarilla.


De là-haut, le spectacle est ahurissant vraiment époustouflant et extraordinaire. En regardant vers le nord, le vent cingle le visage, les yeux pleurent, la vue se trouble par moment.  Les petites îles inhabitées de Montana Clara et Alegranza se détachent de la pointe nord «  Punta Gorda ». A l’ouest, la mer houleuse et moutonneuse s’étend au loin jusqu’à l’horizon et vient s’éclater sur la côte rocheuse. De grandes gerbes d’eau surplombent les rochers et suspendent leur vol avant de redescendre au ralenti sans même épargner  la Playa de La Conchas. Vers le sud, au pied de la falaise, la Playa de La Cocina , les surfeurs, les badauds, les estivants sur la plage paraissent minuscules.  Au loin, vers Lanzarote, se dessinent les chaines volcaniques souvent floues  du Timanfaya. Vers l’est,  nous dominons les petites maisons blanches en enfilades le long des larges rues ensablées de Caleta Del Sebo.  Puis de l’autre côté de El Rio, à peine distantes de un  kilomètre, les hautes falaises de 500 mètres de Famara semblent limiter toute cette partie est sud-est.  Encore une fois de plus, le spectacle est à tomber sur le cul et restera  certainement un des points forts de notre séjour sur l’île. 

Dimanche 12 février.

Depuis hier, nous subissons une demi-tempête. Le baromètre a plongé. Le vent d’ouest souffle régulièrement à 40 noeuds, la pluie tombe fort. Java se défend sur ses amarres , évite, tangue, roule, piaffe mais de manière raisonnable, en ménageant le confort de la cabine. Les bruits extérieurs dus au vent envahissent néanmoins notre quiétude. Le port est très bien protégé et les eaux relativement peu agitées. Nous pensons être un mauvais jour du mois d’août en Bretagne. Nous sommes au chaud, au sec dans les intérieurs douillets de Java. 
Aujourd’hui je n’ai même pas vu « le » héron cendré du port qui  passe la plupart de son temps  sur les quelques barques au mouillage. Il s’est planqué. 
Certains  matins ont été parfois presque frais,  15° dans la cabine,  et le chauffage au pétrole désaromatisé Wallas mis à contribution pendant 10 minutes. 

Sur l’île, nous nous approvisionnons facilement, en fruits,  légumes frais, oeufs, fromages … chez Victoria, en viandes chez « Don Cochon », en poissons à la pescaderia de la cofriada des pêcheurs, en pain au supermarché ou à la panaderia , le tout à des prix très corrects. Ces derniers jours, l’île est très calme mais malgré tout, les restaurants, les bars, les diverses locations restent ouverts, les vedettes continuent leurs navettes, les taxis quatre-quatre  attendent à l’arrivée des voyageurs… L’île sommeille mais n’est pas morte. 



     Un héron cendré sur sa barque et un goéland argenté sur l’autre dans la quiétude.



Dimanche 19 février,

Nous sommes toujours à La Graciosa et Java aux pontons. Les jours s’écoulent tranquillement au rythme de nos envies, des voiliers qui vont et viennent, arrivent ou repartent, de la météorologie  un peu changeante et capricieuse ces temps-ci mais complètement gérable.

Gilles et Gwen, en vacances  sur Lanzarote sont venus nous saluer jusqu’au ponton et nous avons passé un bon moment de convivialité autour de la table du cockpit puis dans les ruelles du bourg. 




                             Gwenn et Gilles « perdus » à La Graciosa.

La pêche y compris professionnelle est très règlementée tant au niveau des techniques toujours artisanales que des dates , que des espèces, que des lieux … Sur La Graciosa, le nombre de bateaux de pêche est limité à 49 ( surtout des petits bateaux avec un seul pêcheur et quelques « gros » d’une dizaine de mètres avec 2, 3 ou 4 pêcheurs à bord) depuis la création de la réserve marine en 1995. La plupart des bateaux de pêche sont à l’extrémité de notre ponton. Quotidiennement chaque pêcheur passe et repasse avec sa brouette contenant une glacière permettant la mise aux frais des quelques poissons pêchés. La discrétion de ses professionnels est stupéfiante. Tout semble feutré comme suspendu: pas un mot plus haut que l’autre, pas de moteur rageur … Le bruit de roulage de la brouette est le plus bruyant… De plus, ces pêcheurs sont souriants, aimables, très sociables … La cohabitation professionnels et plaisanciers fonctionne bien.

Chaque jour qui passe permet une nouvelle découverte sur cette petite île semblant désuet. Hier,  sur la route menant au cône volcanique de la Montana del Mojon, nous avons repéré l’animalerie de l’île située à 200 ou 300 mètres en dehors du village et vers l’intérieur des terres. L’endroit est étonnant presque perturbant. Ce lieu improbable regroupe, collés-serrés, dans un environnement triste avec un air d’abandon, une bonne trentaine de petits cabanons vétustes en durs surtout, recouverts de toits délabrés ou de simples filets. Ca glousse, ça bêle, ça aboie, ça piaille … Effectivement, chaque boxe plus ou moins grand renferme ou bien des moutons, ou bien des chèvres, ou bien un ou plusieurs chiens, ou bien une basse-cour …



                                                      Vraiment insolite. 

Puis nous avons continué sur le chemin de sable qui serpente sur les basses collines basses puis attaqué la pente plus abrupte et caillouteuse de la «  montagne » pour atteindre les crêtes dominants les deux cratères. Le vent souffle irrégulièrement, par bourrasques réussit à se faufiler presque partout. Les pentes sont « trouées » avec des multiples petites grottes. Les lichens gris, verdâtres oui orangés tapissent les roches volcaniques marrons. De petites plantes fleurissent, bleu, jaune, blanc …  à l’abri dans les interstices. Quelques murets ondulent au fond des deux cratères ( anciens parcs à bestiaux?). 



                                                      Dans le cratère.


Nous sommes seuls depuis notre départ du village. Nous allons contourner le cône pour atteindre la côte  nord-ouest, rocheuse et exposée à la houle et au vent. La mer agitée, bruyante, puissante explose sur des kilomètres de roches, les embruns s’envolent et balaient les collines adjacentes. Le vent souffle fort de face et vient amplifier la grandeur de ce spectacle de bout de monde que surveillent les deux gros îlots inhabités de la « Montana Clara » et de «  Alegranza ». 

La Graciosa est endroit bien particulier: 27 km2 de contraste permanent en dehors du temps. Les habitants de Lanzarote disent: «  quand vous débarquez, vous pouvez enlever vos chaussures et oublier le reste du monde ».  Nous n’avons aucune envie de bouger …




                              
                           Fleurs mignonnettes sur le bord du cratère bercées par le vent.



Bisous à tous.

Gildas et Claudie partis pour rester ... à La Graciosa