jeudi 16 mars 2017

La Graciosa, Lanzarote ( suite)

Lundi 20 février, La Graciosa.

Ce matin, le temps est frais et nuageux, impeccable pour la ballade sur l’île. Nous sortons les 2 « velodepoche » et hop c’est parti , vers 10 heures et demi pour une grande virée mixte, une moitié sur les pistes  à vélo , et une autre moitié à pied sur les pentes pour escalader las «  Agujas Grandes » avec le point culminant de La Graciosa à 266 mètres.   
Les alizés soufflent de nord à 20-25 noeuds. Les nuages circulent vite. Le sable s’envole dans les bourrasques. Les embruns empiètent largement sur la terre. Nous nous entendons à peine d’un vélo à l’autre. 
Nous rangeons les vélos au pied du volcan et empruntons un petit chemin , pas toujours facile à identifier, souvent escarpé et caillouteux qui nous mènera jusqu’au sommet où le vent souffle encore plus fort. Pendant les 3 heures de cette ballade à pied, nous n’avons rencontré personne. Nous avons traversé ou longé des enclos de cultures délaissés et d’anciennes terrasses délimitées par des murets en pierre en plus ou moins bon état, témoins d’une activité pas très lointaine.
Par endroits les fourmis noires s’activaient sur le sentier, parfois un lézard se planquait précipitamment, un petit papillon jaune disparaissait dans le vent, puis une huppe fasciée s’est crue starlette en se laissant admirer de façon inhabituelle, proche et prolongée . Sur un plateau rocheux, un couple de grands corbeaux semblaient bien énervés et le mâle ( probablement) poussait parfois des « klong, klong, klong » dont la signification m’échappait même si je n’avais pas de doute sur les intentions de Monsieur et Madame.





                            Huppe fasciée ( un peu caméléon dans son environnement).

 Nous avons atteint un premier cratère puis le deuxième puis enfin le sommet. Encore une fois, nous avons ce ressenti d’être bien plus haut que la réalité. Nous dominons toute l’île avec au  sud-est avec une vue plongeante sur Caleta de Sebo et el estrecho del Rio puis, entre deux lignes de grains,  une vue plus éloignée qui s’étend des falaises de Famara jusqu’aux montagnes volcaniques du Timanfaya.  Au nord -ouest, la côte très exposée bouillonne, la plage de Las Conchas est blanchie par le déferlement des vagues, les îlots de la Montana Clara et d’Alegranza sont balayés par les ombres des nuages, la Montana Bermeja rougeoie sous un rayon de soleil. Encore une fois, le spectacle est saisissant, singulier et nos yeux tous excités … 
Après la montée, nous … descendons jusqu’au premier cratère où nous déjeunons à l’abri du vent entourés d’une végétation rabougrie mais courageuse. 




                           Vue sur Caleta del Sebo  des Agujas Grandes.

Après 5 kilomètres de marche et de grimpette , nous avons récupéré nos « velodepoche » et nous nous dirigeons vers la playa de Las Conchas. Tout d’un coup, je vois,  bien en hauteur un rapace au vol bien particulier avec les pattes pendantes. Je m’arrête vite fait. Je le  cadre  dans mes jumelles. Il était assez loin et je reste perplexe. Il se pose à 300 mètres environ et je le devine plus que je le détaille mais je l’ai observé et l’observe suffisamment pour reconnaître « l’animal » et je dois dire que je jubile. Il s’agit d’un balbuzard pêcheur qui volait avec un poisson entre les serres et qui s’est posé pour le manger à au moins 500 mètres dans les terres ( donc à au moins autant du lieu de pêche). Je voyais bien le rapace donner des grands coups de bec pour  décortiquer la proie. J’ai eu une chance extraordinaire d’assister à ce spectacle rare et malheureusement d’autant plus que le balbuzard pêcheur est en grande difficulté. Ainsi dans l’ensemble des îles   Canaries, ce rapace  ( Aguila pescadora en espagnol et Pandion Haliaetus en latin) est passé de 14 couples en 2008 à 7 couples en 2014 ! De plus leur mode de reproduction ne les aide pas : une nichée de 2 à 3 oeufs par an, une incubation de 5 à 6 semaines et les oisillons  débutant leur vol à 7 ou 8 semaines! 

Nous nous sommes arrêtés à la playa de Las Conchas, belle et grande plage  aux rouleaux puissants et … dangereux.  Un texte l’atteste sur une pancarte commémorative:  « Le 26 décembre 2013, deux français un père de 47 ans et sa fille de 11 ans ont été emportés par une vague tournante qui les a pris de revers alors qu’ils n’étaient qu’au bord de l’eau ». 


Puis nous avons roulé sur les pistes sablonneuses ou rocailleuses du nord de l’île ( interdiction de sortir des pistes même à pied pour cause de zone restrictive de la réserve naturelle),  traversé de vastes  espaces désertiques, surplombé la playa Del Ambar matraquée par les rouleaux,  laissé Pedro Barba à gauche ( superbe vue de la colline) puis longé au sud-est  le bas des Agujas Grandes avant de regagner tranquillement Java après une quinzaine de kilomètres de vélo et une journée d’exception. 


                    
                     Grimpette de la montana vermilla quelques jours plus tard.



Jeudi 23 février,

Aujourd’hui, le vent du nord souffle tranquillement à 10 noeuds, la mer est belle et la houle modérée. J’ai décidé de traverser sur un bon mille  « El Rio » pour me rendre sur Lanzarote.  Entre la  Punta Gorda au nord de Lanzarote et au moins jusqu’à la  Baja del Ganado , côte bordée de hautes falaises sur plusieurs kilomètres, existe à ma connaissance un seul véritable point de débarquement, la Playa de Las Conchas ( de Lanzarote et non de La Graciosa), concha  signifiant coquille, mais elle est également dénommée  Playa del Risco. Claudie, un petit peu craintive sur les annexes, a préféré rester sur la terre ferme. 

Pour être peinard en cas de naufrage ( je rigole) , j’ai traversé avec ma combinaison de surf ( là, je ne rigole pas) sur mon petit youyou pour une durée de 20 minutes: accostage sans problème, remontée de l’annexe en haut de la plage, troc de  ma tenue de mer pour un short, un tee-shirt, une casquette et … « marche ma poule ». Exposée au nord,  la plage,  sauvage, joliment sablée de blond en bas et en brun en haut, longue de 900 mètres, nécessite de superbes conditions météorologiques, comme présentes ce jour,  pour y accoster et  … surtout pour repartir. Elle n’est accessible que par la mer ou à pied par le chemin pentu et escarpé de Guinate qui descend de la falaise de Famara ( de plus de 500 mètres de hauteur).  Mais l’environnement est dépaysant, pommé :  paysage grandiose, fontaine de Gusa ( seul point d’eau des Gracioseros pendant longtemps) et Las Salinas del Rio à proximité, richesse de la faune et de la flore … Et effectivement, je me suis régalé.





                                                  Marais salants d’El Rio.

Tout d’abord, je chemine jusqu’aux Salinas del Rio situées derrière un long cordon de galets. Ces salines sont les plus anciennes des Canaries dont les premiers aménagements datent de la deuxième moitié du XV ème siècle. Elles sont tout simplement directement alimentées et inondées par l’eau de mer uniquement lors des hautes mers de grandes marées par trois grossiers passages creusés dans le cordon de  galets littoral ( laissant ainsi le temps à l’eau de s’évaporer entre  deux grandes marées) . De formes naturelles, elles furent même exploitées bien des siècles auparavant par des peuples préhispaniques voire les romains. La production maximale s’est effectuée au milieu du XVII ème. L’exploitation s’est arrêtée en 1970. Les salines bénéficient d’un entretien minimum pour leur interêt historique. 
Les salines et les alentours surtout sablonneux parfois marécageux ( nombreuses plantes typiques) abritent  et hébergent une bonne richesse ornithologique marine, terrestre, « montagneuse » … Entre autres, j’ai observé des goélands, de nombreux limicoles, quelques faucons, quelques corvidés, quelques passereaux … Mais surtout, une bonne vingtaine de tadornes casarca ( très bel oiseau devenu rare au corps brun orangé et à la tête plus claire) s’alimentaient le cul en l’air en « broutant » au fond des marais peu profonds  ou se reposaient perchés sur une seule patte sur  les nombreuses roches.  




                                                    Tadorne Casarca.


Puis j’ai joué un peu à cache cache avec un couple de superbes fauvettes  à lunettes: tête grise, lunettes blanches, col blanc, manteau beige et marron, queue grise, bottes oranges sexy  pour le mâle,  femelle plus terne … évidemment  ( non, non, ne tapez pas ! Pas sur la tête!). Je voyais ces deux dernières espèces d’oiseau pour la première fois ( quel régal). 





                                                    Fauvette à lunettes.


Ensuite, pendant environ une heure, j’ ai « escaladé » la falaise Famara par le petit sentier de guinate qui zigzague sans arrêt sur les pentes très raides: que du spectacle haut de gamme et des paysages toujours aussi époustouflants au fil de la grimpette. Au sommet, à environ 400 mètres, le paysage change, devient plus vert et de nombreux vestiges de cultures occupent les collines: murets, jardinets, terrasses, amandiers épars, figuiers rabougris. Malgré tout, y perdure une certaine activité et notamment la vigne avec les ceps vivants dans des espaces de quelques mètres carrés, abrités par de hauts murets. La période était à la taille. J’ai même retrouvé l’asphalte et quelques voitures qui allaient et venaient, le mirador  « Del Rio » étant tout proche.  
Puis j’ai repris le chemin à la descente avec toujours un écran de spectacle géant devant les yeux faisant parfois oublier de regarder où je mettais les pieds.  Ce jour, une troisième espèce d’oiseau que je connaissais pas, une très belle pie-grièche grise ( version canarienne,  plus petite et nommée Koenigi) est venue à ma rencontre dans son beau costume stricte et classe mêlant le gris clair, le blanc et le noir.

Pendant cette journée, j’ai admiré des dizaines et dizaines d’espèces de plantes,  la moitié   fleuries,  petitement mais vigoureusement, de multiples couleurs. J’ai croisés une petite dizaine de personnes. J’ai récupéré mon annexe, réenfilé ma combinaison, affronté  quelques rouleaux avant de regagner la mer puis Caleta Del Sebo pour une partie de masque et tuba de fin de journée avec mes poissons préférés.

Et encore une journée qui restera en mémoire.




                                       Après les efforts, le réconfort.

Vendredi 10 mars, La Graciosa.

Hace mucho viento desde ayer. Il y a beaucoup de vent depuis hier. Ce vent d’est,  « plus ou moins thermique » tombe  des hautes falaises de Famara en accélérant à fond, en se précipitant sur le rio et La Graciosa pendant la nuit et le matin : rafales de plus de 40 noeuds aujourd’hui dans le port de Caleta del Sebo! L’après-midi, il disparait presque complètement pour se renforcer sérieusement en fin de journée.

Les deux jours précédents ont été surprenants avec une « coulée » de nuages qui tombait toujours des mêmes falaises ( comme une très haute chute d’eau sur un large fleuve). Simultanément, venant du Sahara, de gros nuages de sable enveloppaient une grande partie de l’île et les environs. Le soir, le port était arrosé de sable dans une ambiance cotonneuse avec un soleil pisseux bien lointain. 






                                                     Nuage de sable .


Demain, les prévisions sont similaires et les jours suivants, le vent devrait passer nord-est comme normalement mais à plus de 25 noeuds. Naviguer aux Canaries demande du temps,  de la patience et de la modestie au risque de se ramasser des sueurs froides: pas de courants à six noeuds, pas beaucoup de chaussées rocheuses, rares tempêtes, peu de marnage ( 2 mètres 50 ) mais beaucoup de phénomènes locaux, de grosses accélérations de vent. Il n’est pas exceptionnel  de se retrouver bloquer au port pour 2 ou 3 semaines. 
« Descendre » Les Canaries d’est en ouest, sur 250 miles, de La Graciosa vers El Hierro ou La Palma est aisé mais remonter contre les alizés et le courant froid descendant devient vite une épreuve et peut demander un bon beau de temps … sauf à savoir attendre et profiter d’un changement d’orientation de vent qui souvent ne dure pas.

Ce vent de sud-est s’accompagne d’une hausse considérable des températures: près de 30°  le jour, 22 ou 23° la nuit, comme un semblant d’été. Nous sommes à La Graciosa depuis maintenant six semaines et nous nous en lassons pas et prenons nos petites habitudes dans ce petit monde bien tranquille, sans bruit, sans moustique, sans bousculade, sans stress … dans un superclimat.  Pour goûter, La Graciosa à sa juste valeur, au moins une semaine est nécessaire. Quelques navigateurs y séjournent depuis des années se permettant quelques petites infidélités vers les autres îles des Canaries, vers Madère, vers les Açores mais moins facilement vers les îles du Cap Vert ou plus bas encore vers le Sénégal, la Casamance … Encore une fois, descendre est facile mais remonter une autre histoire. 
Bien entendu, tout n’est pas que positif: l’eau est relativement fraiche ( de 17° l’hiver à 23° l’été: vive la combinaison de surf), les fonds marins ne valent ceux des Antilles ou de la Polynésie … mais restent tout de même riches ( les clubs de plongées actifs), il vente souvent assez fort ( mais les surfeurs, kits-surfeurs, planchistes adorent), les bons mouillages sont rares et nécessitent d’être toujours sur le qui-vive prêt à gagner un autre lieu.

 Mais vous l’aurez bien compris, La Graciosa, nous adorons.



Jeudi 16 mars, Lanzarote,

Nous sommes à la marina de Naos à Arecife sur Lanzarote depuis samedi dernier. La marina et toutes les infrastructures qui l’accompagnent (administratifs, commerces, restaurants, ….) datent de 2 ans et si le nombre d’emplacements pour les bateaux semble cohérents , toutes les infrastructures qui l’accompagnent ( administratifs, restaurants, bars, multiples commerces …me semblent totalement délirantes d’importance, de surface, de froideur …). Heureusement, distante de 5 minutes à pied, la vielle ville d’Arecife avec notamment le Charco ( lagune intérieure subissant les effets de la marée et ayant une ouverture sur la mer permettant la sortie des  multiples petites barques multicolores qui se reposent flottantes ou échouées ). L’espace est piétonnier, les abords sont agréables et conviviaux. 



                                                 Le "Charco" la nuit.

Lanzarote , longue de 50 kms et large de 16 kms abritent plus de 100 000 habitants dans un cadre volcanique puissant ( Plus de 100 volcans: dernières éruption de 1730 à 1736 puis en 1824 )  mais peu élevé ( 668 mètres au Pico Castillejo). Les 144 millimètres de précipitations par an ainsi que les vents réguliers et soutenus conditionnent l’agriculture qui cède du terrain devant un tourisme éclatant. Même si les surfaces de vigne sont importantes, notamment dans le sud, beaucoup de parcelles en terrasse sont progressivement délaissées. 
Hier, nous avons loué une voiture et parcouru l’île un peu dans les sens tout en prenant le temps d’un bon repas de poulpe à la Casa Ignacio à Tinajo. Lanzarote vaut déjà pour le coup d’oeil: vignobles du « centre-sud » ( notamment de la Geria)  aux plants protégés par des murets de pierres de lave,  Playa Blanca,  à l’extrême sud, commune touristique aux nombreuses plages protégées des vents dominants et sa marina privée de Rubicon ( seule en plus de celle d’Arecife), les Salinas de Janubio , marais salants encore en activité, sur la côte sud-ouest , le fabuleux parque nacional de Timanfaya  au centre-ouest  avec ses dizaines de volcans et ses champs étendus de lave noire, des petits villages du bout du monde sur la côte ouest exposée à la houle, Teguise, ancienne capitale, au centre-nord de l’île entourée de sa « plaine agricole » vallonnée, escarpée,  puis au nord plus accidenté de l’île, la ville d’Haria se blottit dans une vallée, cachée de la mer et parée par de nombreux palmiers, enfin à l’extrêmee nord, les falaises de Famara dominant les marais  salants del Rio  et l’île de La Graciosa. 



Barques au repos d'une plage "abritée" près de El Golfo sur la côte ouest.





                                               Plants de vignes protégées.

A Haria, nous avons visité les maison et atelier «  Casa Museo » de Cesar Manrique, artiste nature aux multiples facettes ( peintre mais aussi «  plasticien », architecte « aménageur du naturel », faiseurs de projets …). Il a laissé des oeuvres marquantes, indélébiles,  d’une sensibilité surréaliste … Conçue par  l’artiste ( et habitée par lui-même, pendant 4 ans jusqu’à sa mort accidentelle à l’âge de 73 ans en 1972 ), près du centre-ville,  sur les ruines d’une ancienne ferme, entourée  de nombreux palmiers et de hauts murs en pierres de lave, la vaste ( 300 m2 à la louche?)  et discrète, si si j’insiste , très discrète demeure de 300 m2 , restée « dans son jus » ouvre ses portes aux visiteurs. Cette demeure m’a bluffé, subjugué, envouté, éberlué, conquis … par une harmonie intemporelle, chaude , presque sans extravagance , simple conséquence d’un agencement minutieux, sensé, fonctionnel … d’objets presque communs, véritable sublimation du naturel. Cette maison que j’ai ressentie comme exceptionnellement odorante de bien être, me  semblait  être la somme   de toutes les connaissances et réflexions d’une vie pleinement et richement consacrée  à l’art. Une visiteuse française tout en marchant rapidement dans le salon a laché «  il fait froid dans cette maison » … ( comme quoi, les goûts et les couleurs!). Au fond du jardin, l’atelier de l’artiste, à demi-enterré, rectangle d’environ 20 mètres par 8, se présentait encore comme si Manrique y revenait demain matin.  
A claudie et moi, il nous a fallu revisité encore plus longuement la propriété une deuxième fois!





                                           Patio d'entrée de la propriété.

Puis, au coucher du soleil, avec nos têtes encore embrumées de rêves et de beauté, nous avons susurré  des «  waou… » d’admiration en dominant la splendide  « La Graciosa » du haut des 500 mètres des falaises de Famara. 



                        Vue de La Graciosa du haut des falaises de Famara.

Loin des clichés cartes-postales, Lanzarote cache bien son jeu pour celui qui ouvre les yeux et prend son temps. Superbe.


Claude et Gildas.