La Gomera le vendredi 24 novembre 2017,
J’ai retrouvé Java dimanche dernier, toujours aussi sage aux pontons de la marina de San Miguel à Tenerife. Une bonne couche de divers sables et poussières recouvraient le pont et tout ce qui dépassait de l’eau jusqu’en haut du mat. En fait, ce n’est réellement que de la poussière et du sable simplement posés qui s’en vont avec un nettoyage au jet d’eau assez puissant. Après 3 heures de boulot, Java est tout propre, enfin presque.
La marina de San Miguel créée artificiellement dans un environnement sans beaucoup d’intérêt au bas de deux terrains de golf, et de nombreux immeubles pas forcément très beaux, remplis surtout d’Anglais qui se sont reconstruits un « chez eux » avec leurs pubs, restaurants … avec du personnel anglais. Bonjour l'authenticité!!!
Par contre, la marina est bien tenue, bien située sur la route de La Gomera ou de El Hierro ou de La Palma. Les enrochements de protection sont très exposés à la mer et à la houle des vents de sud. Que se passerait-il en cas de grosse, grosse houle et grosses vagues? La construction des diverses protections avaient été difficiles ( on est bien loin de la protection des ports comme Arecife , Santa Cruz de Tenerife ou San Sebastian de La Gomera ( même si la houle peut parfois y entrer).
J’ai profité de bonnes conditions météorologiques pour partir sur La Gomera que j’ai rejointe hier après une navigation pépère ( comme rarement par ici) me permettant même d’effectuer plus de la moitié du parcours à la voile au près dans un petit vent de sud-ouest de quelques noeuds. J’ai croisé plusieurs groupes de globicéphales ( et ouai, Adrien!).
Ici, nous sommes en pleine saison nautique avec les nombreux voiliers qui se préparent à la traversée de l’atlantique. Mieux vaut donc arriver tôt dans la journée pour trouver une place dans les diverses marinas ( à part celle de Santa Cruz de La Palma toujours aussi inconfortable sans la porte anti-houle prévue de longue date mais encore absente; dommage puisque la ville est très interessante). En saison, pour avoir une « bonne » place dans les marinas, il faut souvent y séjourner plusieurs jours. Ici, à San Miguel, Java a une super place sur le ponton C, côté intérieur, au calme, avec vue sur la belle ville de San Sebastian blottie au bas et sur les coteaux de la montagne. Je me sens toujours aussi bien ici, peinard tout en étant « près de tout » dans une île qui se marie bien avec ma personnalité ( ou l’inverse). Et je pense que c’est reparti pour quelques semaines de séjour dans cet endroit envoûtant.
Vue de ma "terrasse" marine.
Ces dernières semaines, j’avais beaucoup cogité sur ma ( mes) destination(s) de navigation pour l’hiver et le printemps prochains. J’ai passé beaucoup de possibilités en revue: Iles du Cap Vert, Sénégal, Guinée Bissau avec l’archipel des bissagos, le Brésil, les Antilles et notamment Cuba ….J’ai battu et rebattu les cartes sans réussir à me décider.
Pourtant la Terre est suffisamment grande et variée pour trouver une bonne destination. Mais je n’avais pas assez d’envie, pas assez de motivation, pas assez d’énergie pour gommer les inconvénients de l’équateur et des tropiques et faire pencher la balance vers les bons côtés de la découverte. Je n’avais pas envie de supporter ni les grosses chaleurs, ni les attaques de moustiques et leurs cortèges d’insomnies et de cochonneries transmises, ni les formalités à la con où il faut discutailler avec les vrais et faux officiels …. , ni les risques de vol ( qui obligent à fermer le bateau même quand il fait chaud, à payer un « gugusse » plus ou moins fiable pour surveiller l’annexe voire le bateau …. ). Les Antilles et surtout Cuba me tentaient bien mais comment auront-ils surmonté les dégâts des violents cyclones de cette année? Quel visage offriront-ils? Nous attendent-ils ou est-ce encore trop tôt? De plus, j’ai échangé récemment avec un navigateur revenant de Cuba et qui m’a raconté ses galères administratives délirantes, la terrible malpropreté, ses difficultés constantes à s’approvisionner …( les complexes touristiques sont bien servis mais les simples citoyens crèvent de faim dans un contexte de marché noir en super forme …).
Quand tu décides de te rendre en voilier dans des endroits où il n’y a pas grand chose, tu dois être totalement indépendant ( ou le plus possible) et prêt à surmonter tous les problèmes de personnes ou de matériels qui peuvent survenir ( réparations, lieu « sûr »où caser le bateau en cas de retour précipité en France pour x raisons….). Quand tout va bien … tout va bien mais le moindre accroc peut s’avérer délicat à gérer. Il est bien plus simple, facile et serein de s’y rendre avec sa petite valise.
Il ne sert à rien de s’obliger. En réalité, j’ai envie de me poser , de me reposer, de prendre du recul … et finalement de ramener Java en Bretagne. En fait, je suis un peu ici par défaut . A la mi-juin 2016, une météo déplorable qui se prolongeait m’avait fait renoncer à naviguer vers l’Irlande et l’Ecosse et j’avais donc décidé de descendre vers l’Espagne, le Portugal … Puis j’avais pensé continuer vers la Méditerranée mais je ne réussis décidément pas à y pénétrer.
Depuis déjà quelques années ( avant même de partir), je me disais qu’il me faudrait à un moment « revadrouiller » en Bretagne, redécouvrir mes petits coins sympas et en découvrir d’autres. Et puis j’y suis réellement attaché à cette Bretagne, merveilleux terrain de jeu pour la navigation , pour la richesse de ses multiples mouillages et ports ( pour Moitessier, les deux « régions » les plus agréables pour le plaisir de naviguer étaient la Polynésie et la Bretagne). Bon, il en existe certainement d’autres …
Je commence à comprendre ce que les gens appellent le « mal du pays » qui m’avait épargné jusqu’à présent. Le « mal du pays » est une sensation puissante, invasive, étrange, inattendue, surprenante , mal limitée qui intègre tant les aspects matériels qu’humains. C’est une sensation de manque de quelque chose de vital ( un peu comme si tu manquais peu à peu d’oxygène …). C’est un manque global où tu te ressens loin de tout, de ta famille, de tes amis , de tous les gens que tu aimes bien … des paysages familiers, de ses odeurs, du temps qui fait …
Est-ce douloureux? Sincèrement non! Non, puisque j’en fait le constat et j’ai la réponse à portée de ma volonté. Mais en pensant à tous ceux qui sont ou ont été coincés malgré eux dans des endroits qu’ils ne supportaient plus, j’imagine la terrible douleur que ce « mal du pays » peut entrainer.
Non, au contraire, je suis heureux puisque pour quelques mois, je profiterai un merveilleux endroit où Claudie ( qui adore La Gomera) viendra me rejoindre. Ensuite, le retour en Bretagne passera par Madère et les Açores . Comme aime à le répéter Pierre de Landéda « l’herbe n’est pas forcément plus verte dans le champ du voisin ». Cela est vrai mais il est vrai aussi que, nonobstant la couleur, la nature et l’aspect … de l’herbe peuvent s’avérer différents. Je n’ai jamais chercher à fuir quelque chose mais seulement à découvrir mon inconnu. Voilà, pour l'instant, je suis là.
Les voyages en voilier sont aussi un révélateur puissant de ta propre personne, de ta propre personnalité, de tes véritables désirs, de tes véritables attaches. En mer, tu peux difficilement mentir et encore moins te mentir sans prendre de risques. C’est une existence où, malgré tous les moyens modernes d’aide aux diverses manoeuvres, à la navigation, à la communication, tu restes tributaire des éléments environnants au temps présent. Je ne suis pas un grand navigateur mais j’ai suffisamment passé de temps seul en mer pour percevoir cette dépendance, cette petitesse, cette fragilité de l’humain face à l’étendue de la mer. Je n’ai retrouvé nulle part ailleurs cette perception complexe de bonheur, de crainte, de liberté.
Dans ces périodes de cogitation, ta cervelle va caresser de multiples horizons. Plus souvent qu’à l’accoutumée, tu regardes dans le rétroviseur de ta vie. Tu prends conscience des années qui passent et de celles que tu as eu l’énorme privilège de voir passer. Passé 60-65 ans, inconsciemment ou pas, tu ne vois plus les choses de la même manière. Tu ne feras plus ce que tu n’as pas fait. Bien entendu, quand j’écris « tu » , c’est aussi « je ».
Sans être exhaustif, plusieurs catégories existent parmi les navigateurs sur les voiliers de voyages. Je me prononce, selon ma perception, de manière générale, pour les équipages européens. Deux grands groupes de navigateurs se distinguent: les retraités et les non-retraités. Parmi ces derniers se rencontrent quelques solitaires surtout passés 40 ans sur des bateaux de moins de 10 mètres ( et vivant sur leur bateau) , ou des jeunes couples avec ou sans enfants sur des bateaux plus conséquents ( partant pour une ou plusieurs années ou encore plus …), ou des gens de tous âges, souvent friqués, sur de gros bateaux ( y vivant par périodes, et avec ou sans marins et employés de bord pour les grandes traversées).
Et puis, vient la grosse masse des retraités, ceux qui enfin accèdent au rêve de leur vie. Pour beaucoup, ils y ont pensé toute leur existence ou presque, s’y sont et y ont beaucoup investi. Ils partent surtout en couple sur des bateaux de tous âges ( rarement neufs) mais super préparés, super équipés et en super état, de 11-13 mètres en moyenne. Pour la plupart, leur but est de traverser l’Atlantique, la plupart du temps vers les Caraïbes … pour y passer une ou plusieurs années. Certains envisagent de passer dans le Pacifique ( parfois l’objectif reste la Méditerranée). Vivre et naviguer à deux sur des « petits » voiliers demandent beaucoup de complicité, beaucoup de tolérance et … beaucoup d’amour et il me semble qu’il y ait beaucoup de couples recomposés. Beaucoup de choses peuvent s’apprendre dans la vie mais apprendre à aimer la mer est, je crois, un énorme défit … difficile à réussir quand il s’agit vraiment d’y aller.
Je pense que beaucoup d’équipages sont heureux mais il existe aussi d’autres en nombre non négligeable en grande difficulté. On ne le répètera jamais assez, la mer est un milieu magnifique mais hostile et très dur et qui met à dure épreuve les relations humaines.
Pour les non-retraités, une des principales préoccupations est de remplir la caisse de bord ( et cependant , il me semble que rares sont devenus les équipages naviguant sur des bateaux miséreux).
Pour les retraités, passés 60-65 ans, le poids des années fragilisent bien des projets: tout devient plus lourd, plus dur, plus laborieux, plus fatiguant, plus instable … Naviguer, manoeuvrer … sont énergivores. Les mouillages sont de plus en plus vides prouvant bien que mouiller l’ancre, la remonter, surveiller le bateau, gonfler l’annexe, la mettre à mettre à l’eau, y installer le moteur, accoster , remonter l’annexe sur la plage, la remettre à l’eau …. supporter les mouvements du voilier au mouillage sont et deviennent plus laborieux.
Avant le modernisme ( jusqu’aux années 80-90 environ?), les voiliers étaient bien plus petits et la vie à bord plus rustique et acceptée ainsi: peu d’eau, peu d’électricité, peu de gaz, pas de chauffage, pas de frigo, pas de communication ( autre que VHF), pas de pilote électrique ou autre régulateur d’allure, « pas » de météo » , peu de marinas, pas d’informatique … des voiliers plus rouleurs ( parce qu’en autre moins longs et plus étroits), pas de guindeau pour relever l’ancre … C’était le bonheur .. ou la galère, à l’état brut. A présent, les voiliers sont devenues des maisons flottantes ( et Java un peu beaucoup aussi). Mais une contre-partie pénible s’y est invitée sournoisement dans cet environnement agressif: la multiplicité des pannes sur les bateaux suréquipés et en conséquence la nécessité pour les marins d’être bons bricoleurs pour éviter de devenir complètement dépassés et dépendants. Même les bateaux neufs sont touchés par cette problématique. Ne sont pas rares, les navigations bloquées par les soucis matériels sur les bateaux.
Bien entendu, existent aussi tous les bateaux qui sortent des sentiers battus surtout vers le grand sud ou le grand nord et dont les escales ne prolongent pas sous les tropiques.
En attendant, je suis à la Gomera où je suis comme un poisson dans l’eau. A moi, les ballades musclées dans la montagne.
aux plus corsés,
400 kms de chemins de randonnées balisés sur l'île ( de 0 à 1487 mètres).