Vendredi 25 janvier 2019.
Je l’ai déjà répété, naviguer à la voile aux Canaries n’est pas évident. Descendre l’archipel d’Est en Ouest ( donc de Lanzarote vers El Hierro) est plutôt sympathique avec les alizés de Nord-Est, malgré les surventes entre les îles. Le remonter d’Ouest en Est , le vent dans le nez, est bien plus difficile. Tirer des bords dans 30-35 noeuds de vent établi n’est pas aisé pour des bateaux de croisière qui veulent souvent conserver un minimum de confort à bord et souvent trop chargés et lourds pour effectuer un près correct.
Cette remontée demande donc de la patience, soit attendre des conditions de vents modérés, soit attendre des vents portants pour remonter et ils sont rares et parfois trop forts.
J’aime naviguer à la voile et pas trop , voire pas du tout, au moteur, sinon, j’aurais un bateau à moteur! Mais, aujourd’hui, je vais naviguer… au moteur et probablement qu’au moteur. Les prévisions météorologiques sont bonnes et le vent sera quasi nul.
Donc je vais naviguer … au moteur. Je le sais déjà et je pars quand même. Peu d’intérêt pour un voilier, j’en conviens mais je dois remonter de San Miguel au sud de Tenerife sur Gran Canaria. Claudie m’y attendra dans une semaine. Alors comment se déroule une telle journée à priori pas très attirante avec le bruit permanent de la motorisation? Pourquoi la décrire? Quel intérêt? Une telle navigation se fera par beau temps, belle mer, belle visibilité, avec beaucoup de temps pour regarder, photographier, écrire , se reposer aussi par petites brides , le tout dans d’excellentes conditions. Il suffit de se libérer du bruit du moteur pour pouvoir apprécier.
Je vais vous retracer cette journée de manière chronologique et peut-être rébarbative.
7h30: au réveil, je mets le nez dehors. Vent nul effectivement, température intérieure-extérieure à 18°. Toilette puis petit déjeuner: pain huilée avec salade et tomate, orange pelée, thé rooïbos; en fait comme à la maison.
Je quitte San Miguel avec plaisir: environnement vraiment trop artificiel.
8h: rien ne bouge sur le bateau à couple, Osheeexploration. Devant moi, l’imposante proue de Ragnarok Viking me cache la sortie du port. Je démarre le moteur et m’en vais discrètement . Je suis content de sortir de cette marina sans charme, mal conçue, mais au personnel plutôt sympathique et à l’écoute. Je love et range les amarres, enlève les défenses, les suspens sur le balcon arrière.
Mon impressionnant voisin Ragnarok Viking va faire un tour.
Le soleil se lève dans un ciel un peu tourmenté avec une ligne de grains qui s’effiloche devant moi. La mer est plate. Un voilier noir est au mouillage au dehors du port, au milieu de nulle part. Original! Quelques bateaux pêchent près de la côte devant, derrière, sur le côté.
Cap au 80° environ après avoir mis un way point sur la pointe de la Sardina au nord-ouest de Gran Canaria, à 50 miles. Le pilote automatique est en goto. je suis peinard. Il m’emmène tout seul au bon endroit.
J’hésite encore un peu, soit passer par le sud de Gran Canaria avec un arrêt possible à Puerto Mogan ou plus haut sur la côte Est, ou bien passer entre Tenerife et Gran Canaria , longer la côte Nord puis redescendre sur Las Palmas. « Vamos » pour Las Palmas à 75 miles pour 15 heures de navigation environ.
9h: il me reste 45 miles jusqu’au way point.
J’ai déjà un petit creux, comme souvent en mer. Je me tape un demi-petit pain avec un carré de chocolat.
Deux voiliers, au moteur bien sûr, prennent la route pour le sud de Gran Canaria. J’ai décidé, je passe par le nord. Un bon grain passe tribord à quelques miles. J’ai passé la punta Roja avec son mouillage possible derrière la haute colline rouge. Le Teide s’illumine au dessus des nuages. Plusieurs champs d’éoliennes au repos s’échelonnent sur une vingtaine de kilomètres, après le terminal et port pétrolier de El Medano. Ici, avec beaucoup d’immeubles sans charme, les petites villes côtières sont moches vue de mer. Sur le versant uniforme qui va du sud de Tenerife à la capitale Santa Cruz, les habitations sont nombreuses et plus intégrées dans le paysage.
Difficile de ne pas voir le Teide au dessus de sa couronne de nuages.
Les fonds s’approfondissent rapidement, déjà 500 mètres à 1 mile de la côte jusqu’à presque 3000 mètres à 20 miles.
9h30: je vois toute la côte sud-est de Tenerife. Je devine les côtes de Gran Canaria. Aux Canaries, en navigation, au moins une île est toujours visible, sauf par temps bouché évidemment. Il est même possible d’apercevoir 4 îles en même temps: La Palma, Tenerife, La Gomera et El Hierro. Je vais devoir traverser la ligne de grains qui s’étend devant moi. Je me prends un petit café, tout seul. Quelques petits bateaux de pêche sont éparpillés. Il commence à pleuvoir, sans modification de vent. Je suis à l’abri sous la capote, assis sur mon petit banc spécial « fesses à Gildas ». Des gouttes de pluies crépitent et dégoulinent sur les plexis, en dessinant des petites trainées tortueuses.
Je surveille un tanker sur tribord. Il remonte probablement sur Santa Cruz de Tenerife. L’AIS m’indique qu’il passera nettement à côté.
C'est pour moi.
10h: il reste 40 miles jusqu’au way point. Le vent est faible et la mer peu agitée.
Et voilà le tanker qui modifie sa route d’une dizaine de degrés , à 2.5 miles de Java et vient en route collision! Bon, j’abats un peu, ralentit ma vitesse . A 16h16, il passe devant moi à 150-200 mètres. La pluie a cessé. Devant, le ciel s’éclaircit. Derrière, c’est toujours très sombre. Les sommets des 2 îles sont dans les nuages sauf le Teide qui en émerge. Ah, ce Teide, quel acteur! Toujours présent.
11h: il reste 34 miles. Le vent souffle 7-9 noeuds dans le nez, comme prévu. Les champs d’éoliennes sont très visibles sur Tenerife ( 150 à 200 éoliennes environ). Pas de bateaux en vue. J’attaque la partie descendante du rail qui fait au total fait 6-7 miles de large et dont l’importance du trafic est ridicule comparée avec celui d’Ouessant.
12 h: il reste 28 miles. le vent est à 10 noeuds, la houle à 1-2 mètres. Java tape un peu et mouille un peu sur le pont.
Je suis dans la zone de séparation du rail, toujours pas de bateau en vue et l’écran de l’AIS est désert.
J’ai commencé mes petits repos, allongé sur une banquette du carré, environ 2 fois 10 minutes toutes les heures. Ce rythme me convient à merveille, permet de préparer la nuit qui vient et de se retrouver en forme le matin qui suit.
13h: il reste 23 miles. Santa Cruz est dans le travers à 22 miles. Je suis au milieu du rail ascendant. Toujours pas de navire en vue.
Je prends l’apéro avec quelques olives puis un petit sandwich salade- tomate-concombre-oignon rouge.
14h: il reste 18 miles. Gran Canaria se détache de plus en plus avec ses montagnes sombres noyées dans les nuages. 28° dans la cabine. La chaleur du moteur et celle du soleil s’accumulent.
Puerto de Las Nieves se devine à gauche sur la photo. Les hauts sommets sont dans les nuages.
15h: Il reste 13 miles. Près de de la punta de la Sardina, La Montana del Galdar se rapproche. Je repère facilement le puerto de Las Nieves et Agaete puis le Puerto de la Sardina.
J’ai encore un petit creux et je m’enfile une platée de pâtes -ketchup avec un coup de rouge.
Je consulte ma carte et les quelques documents que je possède. J’ai envie de voir le puerto de la Sardina qui offre une possibilité de mouillage de beau temps. Alors, pourquoi pas?
16h: il reste 7 miles pour le puerto de la Sardina. Il fait beau, la visibilité est excellente. Le Teide domine toujours son sujet en sortant la tête des nuages. La profondeur est repassée à 300 mètres.
Le nord de Gran Canaria apparait beaucoup plus clair.
17h: il reste à peine 2 miles . Au sud, les hautes montagnes sont sombres ( 1949 mètres au Pico de Las Nieves) et les sommets planqués dans les nuages mais au nord, entre le puerto de Las Nieves et la punta de la Sardina , le relief est bien plus bas, les versants sont verdâtres de végétation et le temps ensoleillé. Je m’approche du puerto de la Sardina blotti tout au fond de la baie, essayant de se protéger de la mer et de la houle.
Approche du Puerto de La Sardina.
De nombreuses bouées libres, parfois flottantes entre deux eaux minent le terrain. Il faut être vigilant pour éviter de se coller un bout dans l’hélice. Un autre bateau est déjà mouillé. Je jette mon ancre un peu à distance juste devant la plage peu fréquentée mais où quelques personnes se baignent. Le village s’accroche harmonieusement à la colline: vraiment un très bel endroit qui vaut le détour.
Franchement un très beau mouillage, devant le village en compagnie d'un autre voilier.
18h30- 19h : Au coucher du soleil, tout le port s’embrase avec des couleurs extraordinaires.
Par contre, le ressac est important sur les quelques quais et escaliers de débarquements. Il s’agit plus d’un abri que d’un port. Je resterai à bord mais le décor est magnifique.
Cette journée de navigation même au moteur s’est avérée intéressante. C’est vrai, je n’ai pas vu de cétacé aujourd’hui, les oiseaux étaient rares. Mais, j’adore cet archipel géographiquement esthétique et envoutant. Je contemple, mon regard se régale.
Samedi 26 janvier 2019.
La nuit aura été assez peinarde malgré la petite houle qui agitait Java par période.
7h: lever, déjeuner.
8h15: je lève l’ancre. Le temps est beau, la visibilité est excellente comme souvent aux Canaries. A la punta de la Sardina avec son beau petit phare rouge et blanc, apparait une houle de 2 mètres assez courte qui s’éclate sur les rochers.
Complexe touristique avant la pointe de la Sardina: intégré ou pas? L'intention existe.
Alors, vous en dites, quoi? Moi, je ne sais pas.
8h30: je contourne la pointe , des petits villages s’accrochent aux falaises basses au pied desquelles la mer écume et les embruns, bien visibles dans les contre-jours du soleil, s’envolent de manière surprenante, très haut et très loin vers les terres.
Petite phare de la punta de la Sardina, posé sur de la roche volcanique..
8h45: ça sent la ferme!
Aucun rapport , à terre, avec une dizaine d'éoliennes qui attendent le vent.
9h: la montana de Galdar, ne culmine qu’à 430 mètres mais visible de loin, s’entoure de bananeraies sous plastiques. Des habitations colorées s’y entremêlent. En deuxième rideau, les vraies montagnes sont belles aujourd’hui , sans nuage.
J’adore contempler les paysages et j’essaie toujours de longer la côte d’assez près ( 1/2 mile environ), en prenant garde évidemment aux diverses bouées, barques de pêche, filets, bouts trainants …
La montana de Galdar sur la droite avec les bananeraies sous plastique.
Dans la lumière rasante du soleil, les embruns sont pris en flagrant délit d'escalade de falaises. Et pourtant la mer est plutôt calme.
10h : ici les falaises sont plus hautes, verdoyantes. Les versants de l’arrière pays sont mamelonnés et verts. Les habitations y sont partout nombreuses et grimpent sur les versants, j’évalue à jusqu’à plus de 500 mètres de hauteur.
Devant , Las Palmas approche. Sur le sillon situé au sud de l’Isleta, les silhouettes des grues et immeubles se détachent dans le faux jour. Huit miles me séparent de l’Isleta, petite presqu’île montagneuse, dominée par un phare et qui représente la pointe Nord-Est de Gran Canaria.
A gauche, l'Isleta, et à droite les silhouettes des immeubles, grues ... se détachent.
11h25, je passe l’Isleta aux falaises bien sombres. D’ici, à 65 miles de distance , je vois encore le Teide bien en hauteur au-dessus des nuages et j’aperçois même ldéjà, les hauteurs de Fuerte Ventura à plus de 50 miles! La visibilité est fabuleuse.
L'Isleta aux falaises sombres. Le petit phare se devine sur le sommet du milieu.
Ca pêche dans la houle.
Non, non, ils n'ont pas coulé, on devine les chapeaux qui dépassent.
12h: je me rapproche de Las Palmas et de ses ports ( 7 ème plus grand complexe portuaire d’Espagne juste derrière Bilbao).
Il y a du monde!
Je change d’échelle, plusieurs gros cargos et quelques énormes plates-formes sont au mouillage. Des navires de toutes dimensions entrent et sortent. Il faut être attentif.
J'approche, j'approche.
Certains avancent, d'autres mouillent.
Je passe où?
Les grandes villes ne m’ont jamais attiré et Las Palmas en fait partie avec près de 400 000 habitants. J’y reviens un peu en marche arrière mais je vais essayer de regarder le verre à moitié plein. Et puis côté, terre, je crois que je vais aimer toute la partie centrale et Nord de l’île.
12h45, j’entre dans la marina, passe un coup de VHF à la capitainerie: a priori, plus de place disponible, certains pontons sont en réparation. Après un passage par la case ponton d’accueil, rinçage de Java à l’eau douce, douche du capitaine et rapide approvisionnement dans une supérette toute proche, je dois aller mouiller juste à l’extérieur de la marina dans un endroit qui était devenu interdit. Alors mouillons. A tribord, le port de commerce avec les entassements gigantesques des containers, les énormes grues, les cargos , les bateaux pilotes…, devant, le port passager avec quelques énormes bateaux de croisière … à bâbord, la ville avec des dizaines et des dizaines de hauts immeubles souvent colorés d’où s’échappent un bruit de circulation sourd et continue parfois recouvert par les sirènes hurlantes… Le passage des bruyants hélicoptères est fréquent. Soyons positifs: ça vit.
Panoramique de la ville vue de Java au mouillage.
Une vraie grande ville portuaire et « moderne ». Et Java est ancré, en compagnie d’une quinzaine d’autres voiliers, dans cet abri au fond de sable dans ce décor surprenant, un peu déconcertant avec une petite touche de magie. Sur ce grand plan d’eau plusieurs groupes de petits dériveurs déambulent avec leurs petites voiles, genre « optimist », laser et autres ...
Navigation en dériveur devant le dépôt des centaines et des centaines de containers.
Las Palmas au lever du soleil.
Il faut garder à l’esprit que malgré ce côté éloigné, montagneux et volcanique, l’archipel des Canaries est globalement très habité mais avec de gros écarts de densité entre les îles:
Tenerife: 891 000 habitants sur 2034 km2, 438 hab/km2
Gran Canaria: 845 000 habitants sur 1560 km2, 548 hab/km2.
Lanzarote: 145 000 habitants sur 862 km2, 168 hab/km2.
Fuerte Ventura: 107 000 habitants sur 1660 km2, 63 hab/ km2.
La Palma: 81 000 habitants sur 706 km2, 114 hab/km2
La Gomera: 20 900 habitants sur 363 km2, 57 hab/km2
EL Hierro: 10 500 habitants sur 268 km2 39 hab/km2
Au total, environ 2 102 000 habitants sur 7447 km2 avec une densité moyenne de 282 hab/km2, deux fois plus que dans le Finistére ( 135 hab/km2 pour 6733 km2) les deux îles principales rassemblant déjà 1 736 000, soit plus de 82% de la population.
Gran Canaria est très habitée et dès l’arrivée, je le ressens. La tranquillité de El Hierro et de La Gomera est toute autre.
Bons baisers de Las palmas.
Gildas.