mardi 26 mai 2015

Fin Antilles et retour jusqu'aux Açores mai 2015

Deshaies, le mercredi 22 avril 2005.

Avec la nuit qui vient, j’aurai passé cinq jours et cinq nuits au mouillage à Deshaies dans un endroit adorable, verdoyant, vraiment joli et attachant avec des commerçants et des gens accueillants. Je ne suis que de passage et j’embellis un peu sans doute. En France, j’entends beaucoup critiquer l’accueil des touristes aux Antilles françaises. J’y termine un séjour de 5 semaines et je n’ai personnellement jamais été mal accueilli, au contraire. Peut-être en est-il différent dans les complexes touristiques notamment hôteliers aux résidents exigeants, capricieux et aux employés pris pour des larbins?    
Les maisons colorées  bordent les deux rues principales. Les plus chanceuses , bars et restaurants pour la plupart, exposent leurs belles terrasses au pied de la mer caraïbe, le long des plages de sable ou de galets, face au soleil couchant. Je m’y suis beaucoup plus. J’aurais même joué aux prolongations. Mais vous savez tous ce que c’est,  le devoir m’appelle. Non, je rigole.


                                                Terrasses à Deshaies face à la baie.

Il est 20 heures.  A poil ( normalement, à 200 mètres de la côte, les moustiques ont déclaré forfait ) dans le cockpit,  il fait bon ( air et eau à 28°) et beau . Je pianote sur le clavier de mon mac posé sur les genoux . Je suis là tout seul au milieu d’une cinquantaine de voiliers tous mouillés assez loin les uns des autres dans la grande baie. Les feux de mouillages des mâts se balancent , un tout petit quartier de lune surveille l’anse timidement , les étoiles s’éparpillent dans le ciel. Je  ne suis même pas perdu, la polaire brille  sur mon bâbord. Un petit vent fantaisiste mais rafraichissant  anime le plan d’eau. 
Sur tribord, les lumières de la ville tant au niveau de l’eau que des collines encerclent la baie douillettement . Tout se confond un peu, les étoiles, les feux de mât, les lumières de la ville, les reflets dans la mer . Qui est quoi dans cette multitude de lucioles plus ou moins blanches ou jaunes, statiques ou mobiles?

Dans le silence, une annexe bourdonne pendant quelques secondes jusqu’au voilier voisin. Java pivote sur lui même. Il était  cul à l’ouest vers la mer caraïbe  et là, il se retrouve cul à l’est face à la bourgade. Je suis doucettement bercé. Mes yeux visitent. Je n’entends plus le bruit d’un seul moteur. Quelques aboiements résonnent dans le lointain, des sonorités étouffées de conversation habillent l’atmosphère, quelques drisses cliquètent ou claquent . J’ai une sensation de bien-être absolu dans un moment privilégié  que, pas véritablement par hasard, je suis venu chercher.
Je me sens bien à Deshaies. Demain, je pars sur Antigua. Enfin, je pense de plus en plus que je partais. En fait, je ne partirai pas demain. Je suis trop bien ici dans ce lieu vivant, calme, serein. Je m’autorise une prolongation de séjour de une ou deux journées. Peut-être ne satisferai-je pas ma curiosité en passant par Saint Barth et Saint Martin. Tant pis ou tant mieux!

Et puis subitement, j’ai envie d’une petite baignade. Dix secondes plus tard, je suis à l’eau. Au sortir, je me rince à la douche solaire. 

Je n’idéalise pas Deshaies mais je constate qu’ici, j’existe. Je ne suis pas transparent, ni dans la rue, ni dans les commerces. Les bonjours sont gratuits, les renseignements sont gratuits, les sourires sont gratuits, les discussions sont gratuites, les échanges sont gratuits …la sérénité est gratuite. 

Vers 16 heures, je me suis rendu au petit port de pêche, à pied  évidemment, à au moins 300 mètres du centre du village pour acheter du poisson frais.  En bordure de la rivière qui traverse le port, un pêcheur y vendait ses poissons  entourés de deux «  écaillers et préparateurs » et de quelques locaux.  Tout ce petit monde masculin discutait et palabrait en créole.  « Byen bonjou  tou le monde »… dis-je. Personne ne me saute dessus. Là aussi, le temps est gratuit. Bien sûr, le pêcheur est là pour vendre sa pêche . Bien sûr, je suis là  éventuellement pour acheter. Mais j’apprends à donner du temps au temps. J’apprends à faire parler les silences. J’apprends à ne plus connaître l’heure et à laisser le temps filer. Puis les échanges verbaux commencent avec le groupe, avec douceur, avec un intérêt bilatéral, toujours dans un espace temps illimité ou plutôt sans importance.  Je finis par choisir un gros poisson lion à 7 euros le kg ( prix normal et identique pour tout le monde). Les filets me sont tirés avec attention et adresse. Les échanges reprennent, paisibles.  Et  puis avant de partir, le pêcheur me propose  un p’tit punch que j’accepte avec plaisir. Et nous trinquons  et discutons  tous ensemble de tout. Le temps traîne encore mais mon poisson  s’impatiente dans son pochon plastique et il fait chaud. Je rentre au bateau et mets les filets au frigo. Je retourne à la vente de poissons et offre une boite de pâté Hénaff comme remerciements. Puis je remonte la rivière avec un local qui habite dans la forêt toute proche. Son frère vit dans une case  près de la rive et cultive la vanille.  A 300 mètres au-dessus du port,  la rivière est toute propre et offre en cachette des trous d’eau pour la baignade et la toilette. 




                                                          Port de pêche de Deshaies

Dans ces moments-là, je pense facilement  et sans tristesse  aux amis disparus bien trop tôt. Je les  salue chaleureusement  et respectueusement. Je revois tous les  bons souvenirs. Leurs morts font partie de ma vie. Je revis avec Christian et Thierry pour les merveilleux moments que nous avons échangés et vécus. 

21 heures, la lune de couleur orange, se couche, même pas 3 heures après le soleil. Pourquoi tant d’empressement? Elle veut se faire sauter ou quoi? Et puis d’ailleurs je m’en fous, elle fait ce qu’elle veut de sa rondelle.
Java bouge mais tranquillement. Il tourne selon le vent indécis et volage, comme dans un manège au ralenti. Chaque fois que je relève la tête, les repères ont changé. Je me régale de ces errances.

Lundi dernier, j’ai visité le jardin botanique de Deshaies située sur les hauteurs de la ville dans  l’ancienne propriété de Coluche qui a passé quelques années ici après ses déboires de candidat aux élections présidentielles de 1981. La population en garde un très bon souvenir même si pour Coluche,  la période fut très délicate entre l’assasinat de son imprésario et le suicide de son pote Patrick Dewaere. Cette propriété a été rachetée assez rapidement par un passionné qui en a fait le jardin actuel tout bonnement magnifique et extraordinaire ( appartenant maintenant à un groupe financier !!! américain, je crois). Plusieurs thèmes y sont développés  ( un peu comme à Tresco aux îles Scilly): monde de l’Asie tropicale, monde des explorateurs, monde des arbres tropicaux, monde caribéen, monde des palmiers, monde aride, jardins des simples,  avec des  cascades, des étangs, de multiples oiseaux … Deux fois, j’ai parcouru  pendant  plusieurs heures cet endroit pentu, propre, bien entretenu, reposant.


                                              Maison avec cascade au jardin botanique.

Hier, j’ai visité le parc zoologique et botanique des Mamelles à Pointe Noire qui m’a lui aussi agréablement surpris  avec des ballades sur ses chemins suspendus aux arbres. Les animaux  évoluent dans de gros volumes grillagés mais qui, pour moi, me paraitront toujours  bien trop exigus.  Puis j’ai parcouru Basse Terre en voiture et j’ai retrouvé de bonnes sensations dans la beauté des paysages ( multiples cascades, forêt primaire, points de vue …) et des villages toujours aussi colorés et fleuris. 



                                           Chemin de ballade suspendu, au parc zoologique.

Jeudi 23 avril.

Finalement, je pars. A 7 heures, je lève l’ancre pour Antigua située à 48 miles vers le nord.
Le temps est beau. Après une demi-heure de moteur, le vent s’établit est à 10 noeuds et ne me quittera plus . Pour une fois, je déroule les voiles en entier, GV et GSE. La mer est peu agitée et la croisière superbe. 
Vers midi, je vois un souffle comme un jet d’eau qui met plusieurs longues secondes à retomber,  à 200 mètres sur mon tribord, puis un autre et encore un autre. Je prends mes jumelles et je visionne un gros cétacé, baleine, cachalot ou autre. Je me dirige vers le nord, le monstre vers le sud. Je plonge sur ma caméra et hop, j’enregistre pendant 2 ou 3  minutes… sauf que la carte était pleine. Tant pis pour vous, vous ne verrez pas la bête. 




                                                    Superbe  mouillage de Deshaies.
A mi-parcours, je laisse  Montserrat à une dizaine de miles sur bâbord. Tout le sud de cette île jusqu’à 2 miles au large est zone interdite depuis que son volcan , la Soufrière, s’est réveillé en 1995 ( en 2010, il a encore  crachouillé à 10 000 mètres de haut) . Cette colonie autonome britannique comprenait 12 000 habitants avant l’éruption et 4 500 aujourd’hui. 
En arrivant près de Antigua, j’entends un bruit sonore sous la coque !? A tous les coups, j’ai dû passé au travers d’un filet de pêche ou équivalent. Je ne mets donc pas  le moteur en route pour éviter de bloquer l’hélice voire pire ( désalignement du moteur par exemple) et je mouille sur ancre vers 16 heures devant la plage de Crab Hill Village à la pointe sud-ouest de l’île. 
Peu après, je jette un coup d’oeil sur mon hélice. Elle est planquée derrière un amas de sargasses et de bouts derrière lesquels traine une grosse et dure bouée de filet de pêche, responsable des bruits de chocs. J’ai dû plonger avec mon opinel  une dizaine de fois ( je m’améliore) pour enlever tout ce méli-mélo. 
Un autre bateau était mouillé en cet endroit mais à 300 mètres. La nuit fut très calme et j’ai dormi comme un bébé.

Vendredi 24 avril.

Antigua, anciennement britannique, indépendante depuis 1981, est une île aride qui culmine à 405 mètres . Les 80 000 habitants ( à plus de 95 % d’origine africaine) répandus sur 280 km2 parlent Anglais et roulent à gauche.
Tôt ce matin, je suis remonté jusqu’au port de Joly Harbour pour effectuer la clearance ( les formalités d’entrée)  normalement plus rapide et beaucoup moins chère qu’à English Harbour: bureau d’immigration puis bureau des douanes puis bureau de la police … Heureusement , les 3 bureaux sont côte à côte mais plus de deux heures m’ont été tout de même nécessaires pour finaliser ces démarches administratives.
Je profite de l’escale pour acheter le pavillon de courtoisie ( pavillon du pays visité hissé à tribord du voilier, non obligatoire mais conseillé) de Antigua que j’ai payé …  l’équivalent de 30 euros ( à tomber sur le cul!). Puis je ressors de la marina, immense complexe lacustre artificiel, qui ressemble un peu à Port Grimaud, avec un ponton personnel et le bateau ad hoc devant chaque maison. La couleur turquoise  de l’eau est magnifique tout le long de cette côte ouest et s’étend sur 2 ou 3 miles vers le large.



                                                          Port de Joly Harbour.
                                               
Je me dirige au moteur sur 13 miles ( vent d’est dans le nez) vers English Harbour en passant par Goat Head Channel entre les massifs de coraux et la côte sud de l’île. 
Je pénètre dans le repaire fortifié de Nelson à English Harbour et me planque tout au fond à Ordonnance Bay sur des fonds vaseux , au sud et tout près du Nelson’s Dockyard. Ce soir commence la très réputée mondialement semaine de régates d’Antigua qui attire le beau monde de la voile avec des bateaux et des équipages d’exception.
Tous les soirs de la semaine, la fête bat son plein avec en soirée un concert gratuit quotidien. En guise d’introduction, ce soir entre 18 et 20 heures, les rhums et cocktails à base de rhum sont gratuits. Ca tombe bien, le prix du pavillon m’était  resté en travers de la gorge et l’avait  grandement  desséchée. Finalement, j’ai bien rentabilisé l’affaire sans aucun complexe.  
Dans un cadre magnifique, ces fêtes nautiques  à l’ambiance particulière bien britannique séparait  bien les blancs sur les beaux voiliers,  devant la scène, devant les tables ,  et les noirs au turbin derrière les multiples comptoirs de bouffe et de boissons ( sur la bonne cinquantaine d’employés, pas un seul blanc) ou comme  «  cuisinier-serveur- bon à tout faire » sur les voiliers  amarrés au quai tout proche. J’en était un peu troublé. Les temps changent-ils vraiment?   
Je suis resté deux jours dans cet endroit bien artificiel et décalé de la vraie vie des véritables habitants de l’île. J’ai bien apprécié les deux concerts différents avec chaque fois une chanteuse black à la voix magnifiquement sensuelle.



                                                  Vieille marine  à English Harbour.

Dimanche 26 avril 2005.

A 7 heures, je lève l’ancre pour Barbuda à 45 miles de navigation. Le vent d’est sud-est de 15 noeuds me pousse tranquillement sur une mer peu agitée éclairée par un soleil franc. J’arrive à Cocoa Bay vers 17 heures.



Barbuda Harbour, le lundi 27 avril 2015,

Il est des matins où en te levant tu ne peux pas imaginer ce qui va se passer. Aujourd’hui, c’était un matin comme cela.

Barbuda?  Oui, Barbuda ! Cette îIe de 100 km2 pour 1500 habitants regroupés à Codrington sur le côté est du lagon est située à 25 miles au nord de Antigua dont elle fait partie. Elle est quasiment plate ( point culminant à 60 mètres) , entourée de barrières de corail et de multiples récifs coralliens, avec un grand lagon sur la partie ouest ( 10 km de long sur 3 km de large environ et en moyenne 1 ou 2 m de profondeur) séparé de la mer par un cordon sableux très étroit.
Les têtes de corail, les grandes plages aux rouleaux déferlants et le minuscule  port abri  rendent l’île  peu accessible par la mer. 

Hier soir, j’avais mouillé à Cocoa Bay à 5 miles à l’est d’ici,  abrité par des multiples récifs. L’endroit  plait énormément aux  grandes tortues qui  reprennent sans arrêt leur respiration autour du bateau mais toujours à distance respectable. Nous étions 4 voiliers sur ce mouillage très spacieux mais un peu rouleur. Devant Java, une grande plage au sable blanc que bordait à Cocoa Point, l’hôtel Cocoa Point Logde réservé aux gens très sélects et du show bizz. L’établissement possède son aérodrome privé à 300 mètres de là!!! La clientèle y arrive donc surtout par avion-taxi et hélicoptère. Et ouai.
Ce matin, vers 7 heures, je « décolle » avec Java de cet endroit  , zigzague entre les têtes de coraux et celles des tortues et me dirige vers «Low Bay » située à l’ouest, le long du lagon à 12 miles. L’alizé est sud sud-est à 12 noeuds et la navigation un plaisir.  Mon intention est d’y mouiller puis de rejoindre la plage avec mon annexe montée sur roulette ( si, si) pour passer dans le lagon adjacent puis  rejoindre  Codrington   situé à 2.5 km afin d’effectuer les formalités de sortie et accessoirement boire un pot et casser une croute.
A mi parcours, deux dauphins assez grands me montrent le chemin pendant quelques minutes. A 5 miles de l’arrivée, Palmetto Point marque l’extrémité sud-ouest de l’île où un hôtel pour gens sélects  est fermé et abandonné puisque ses plages ( privées) sont polluées par les sargasses .
Puis, j’ancre comme prévu devant Light House Hôtel, pour gens sélects aussi ( décidément) , où l’accès est soit maritime via le lagon, soit par les airs par hélicoptère. Le mouillage est aussi un peu rouleur mais tout autour , sur des dizaines de km2, la mer turquoise est splendide. Comme prévu, j’accoste avec mon annexe sur la plage toute proche. Saperlipopette! Ils sont costauds les  rouleaux qui me précipitent sur la plage! Je roule l’annexe sur les  40 mètres  du cordon de sable pour passer dans le lagon voisin. Je commence la traversée vers Codrington, mais l’alizé a forci , la mer est trop hachée et je fais rapidement demi-tour. 
Bon et maintenant?  Je suis sur le cordon dunaire sans aucune route. Je me rends à l’hôtel Light House dans l’intention d’appeler  un « taxi boat » qui m’emmènera  à la « capitale ».  L’endroit est flatteur, le débarcadère et l’héliport privés superbes, le jardin joliment entretenu, le tout est d’une propreté exemplaire. Je ne vois cependant personne et je suis surpris. Je continue à avancer, j’atteins l’énorme hall d’entrée ouvert qui donne directement sur la plage. Toujours personne. Incroyable! Tout est ouvert. Les fauteuils, le mobilier, les décorations ( sculptures, photos, tableaux …) sont en place. J’appelle. Personne ne répond. Je continue à faire comme chez moi. Je ressors du bâtiment principal, fais le tour des petites maisonnettes toutes mignonnes toutes proches. Personne! Je me dirige vers le rez de chaussée d’une autre bâtisse dont  la porte est ouverte. J’y pénètre. Cinq ou six machines à laver le linge et autant  de sèche linges sont alignés de chaque côté d’un large couloir. Les odeurs  de lessive et de propre sont bien présentes mais toujours personne!
Au débarcadère est amarrée une vedette d’environ 8 mètres de long avec un moteur hors-bord de 150 cv. Les clés de contact sont en place sur le tableau de bord! Personne.
Avant l’hôtel, j’avais longé un genre d’entrepôt. Je retourne sur mes pas et entre dans l’entreprise. Près des cinq grandes cuves à carburant,  une maisonnette, un bâtiment atelier et un hangar occupent une grande partie du terrain où stationnent un bateau bâché, un gros Chevrolet pick-up, une camionnette, un petit 4/4 , un manitou, trois containers et tout un tas de bazars … La porte de l’atelier est ouverte, j’y entre dans un bruit terrible de générateurs et je comprends que cet endroit est en fait l’usine de production d’électricité de l’hôtel voisin. Sur 3 pièces couloirs, des tas d’outils et pièces détachées de toutes sortes sont à disposition. Evidemment je ne trouve … personne et pourtant le tout fonctionne. Je me dirige vers la maisonnette qui pourrait bien être le lieu de résidence des employés. Les petites fenêtres-battants sont ouvertes. Je grimpe les quelques marches qui mènent à une petite terrasse couverte et ombragée devant l’entrée. Sur la table extérieure sont posés une paire de gants de travail et un dépliant touristique sur Barbuda,   et près de la porte d’entrée fermée, se reposent  une paire de godasses et une paire de bottes. Je frappe… Personne. Je consulte le dépliant à la recherche de coordonnées des taxis maritimes. Sauvé, j’en trouve. Je saisis mon portable… Pas de connexion!!!
Sur la plage en débarquant, une petite buvette restaurant était également inoccupée mais toujours avec sur la grande terrasse, les tables, les chaises… avec les menus affichés sur les ardoises, même avec les prix. Mais personne.



                                                      Light House hôtel.

Et pourtant, je suis persuadé que ces structures fonctionnaient encore la semaine passée et nous sommes que fin mars ( la saison touristique dure jusqu’à fin mai ici).

Ce bout de monde désert interpèle. D’habitude dans ce genre d’endroit, tu es encore à 10 km que le gardien t’a déjà reniflé. J’y ai trainé pendant deux ou trois heures. Non, ici, il n’y a personne, vraiment personne.  Je ne vois  toujours aucun bateau en vue sur le lagon. Inconcevable.

Pendant ce temps là, l’alizé s’est stabilisé à 20 bons noeuds et les rouleaux sont de plus en plus costauds. Il va falloir jouer finaud pour reprendre la mer et regagner Java avec le youyou. J’ai passé un bon quart d’heure à comprendre le système du déferlement des rouleaux ( en moyenne 3 forts à suivre puis 4 plus faibles). J’ai récupéré un gros sac poubelle accroché à la mangrove voisine dans lequel j’ai planqué mon sac à dos qui contenait mon appareil photos, mon portable, mon passeport, mes formalités d’entrée, du fric, ma carte bancaire … Il fallait être sérieux. Je présente l’annexe au plus bas et après les 3 gros rouleaux, je fonce comme une brute, la pousse en courant dans l’eau, me précipite à bord, saisit les deux rames que j’active à mort. P…, je suis bon. Je bascule le moteur hors-bord dans  l’eau.  Il a intérêt à démarrer du premier coup sinon le retour sur la plage promet d’être tourmenté.  Et il le fait du premier coup. 
Deux minutes plus tard, je suis de retour à bord de Java, pas plus avancé au niveau des formalités  mais la tête pleine de stupéfactions. Tout autour sur des dizaines de km2, la mer est toujours aussi belle et aguicheuse,  je m’évade. 

Après une bonne baignade, vers 16 heures, au moteur ( vent dans le nez) je retourne vers Barbuda Harbour situé sur la côte sud que j’ai longée ce matin. Peut-être y dénicherai-je une petite place suffisamment protégée, derrière les massifs coralliens éparpillés sur toute cette côte jusqu’à un bon mile?
Sur  ma carte, deux bouées rouges ( cardinales tribord de ce côté de l’atlantique) indiquent le chemin du port. J’en déniche  une grosse blanche et une petite verte!!! Je travaille au GPS malgré des cartes pas très précises , imprécisions dues surtout à la croissance anarchiques  des massifs coralliens . J’arrive à l’entrée de Barbuda Harbour, seul port de l’île où débarquent passagers et marchandises. Il s’agit d’un minuscule et précaire abri, plus ou moins ensablé, au moins 20 fois moins protecteur et 50 fois plus petit que celui  de Molène, avec un quai et un débarcadère en bois. Cinq barques sont refoulées au bord de la plage, autant sur la plage et « évidemment »  quelques sargasses jonchent le sable. J’ancre Java, seul voilier, par 1.50 à 2 mètres d’eau , à environ 40 mètres d’une petite jetée en pierre, basse mais large et solide qui sert aussi de stockage de diverses cuves et autres. Quelques ânes s’y promènent et braient. Encore une fois, je ne vois personne ni une seule habitation.
Il est 17 heures 30, je descends à terre avec mon annexe. Le chemin qui part du port est sablonneux . Je parcours 200 mètres, rejoint une zone de stockage de gros tas de sable où errent encore quelques ânes qui s’éloignent à mon arrivée.  Une voiture passe plus loin. C’est presque le désert à nouveau. Quelques pélicans pêchent en plongeant brutalement, lourdement  et bruyamment dans l’eau en éclaboussant puissamment, des mouettes ( rieuses semblent-ils) piaillent et des sternes crient dans le silence. Aucun bateau n’est entré, aucun bateau n’est sorti. Rien de rien.



                                     Barbuda Harbour au soleil couchant. Java en arrière plan.

Il est 10 heures, la nuit est assez sombre avec une  lune à demi-pleine et un ciel étoilé. Trois lampadaires éclairent timidement le port mais pas un feu , pas un phare ne sont  visibles à l’horizon. J’ai la sensation d’être chez les ânes qui continuent à braire  toujours aussi lamentablement. 

Mardi 28 avril 2015.

8 heures du matin, je gagne le rivage avec mon annexe et mon petit vélo pliant. Et je pédale sur 5-6 km et pendant 20-25 minutes sur une large piste d’abord empierrée et ensuite  goudronnée pour rejoindre Codrington où j’effectuerai  mes formalités de sortie: d’abord le « Port Authority » au bureau de poste puis la police pour l’immigration près de l’aéroport et enfin les douanes au centre du village.
Au bord du chemin, dans une grande et superbe  cocoteraie qui s’étend sur des hectares, des noirs travaillent la terre et entretiennent les cultures de divers légumes et céréales avec de simples outils.
Arrivé au bourg, après le petit aérodrome, je m’amuse à fureter avec mon vélo dans toutes les ruelles bordées de petites cases aux jardinets plus ou moins entretenus et de petits commerces sans enseigne. J’achète du pain délicieux dans une vraie boulangerie à l’ancienne, au fournil bien visible puis  des fruits et légumes aux étals en bordure de route. Je demande quelques renseignements à un homme  blanc en Anglais  et il me répond:
-  T’es français?
-  Ca s'entend? Merde, j'étais là incognito, ironise-je.
C’était le seul résident français de toute l’île. Il y habite depuis 2 ans , heureux semble t-il, vit de multiples petits travaux et divers bricolages. Je lui raconte ma ballade  la veille à l’hôtel Light House. Il paraît  à peine surpris  me précisant tout de même qu’il avait vu ce matin, le personnel qui s’y rendait. Hier, était-ce un jour de congé « total », gardien inclus? Puis Il m’indique un restaurant sympathique devant une plage au sud de l’île pour y manger de la langouste. Je m’y suis régalé. 
Une fois de plus, les gens à Barbuda, île agricole et de pêche ( et encore peut-être de sel ?) , sont adorables, souriants et serviables. Encore une fois, j’y serai bien resté 2-3 jours de plus pour visiter l’intérieur des terres qui abritent une flore et une faune intéressantes y compris un tas de gibiers avec des cochons sauvages, des daims … dans des endroits perdus et inhabités.

L’histoire de Barbuda est assez singulière.
L’île découverte par Colomb en 1493 était dénommée Wa’omoni par les Amérindiens qui l’occupaient.  Au XVII ème siècle,  elle est devenue propriété des Anglais ( avec ou sans les Amérindiens?) qui l’ont louée à partir de 1685 jusqu’à la fin du XIX ème siècle à la famille Codrington. Elle y fit de l’élevage  mais  principalement, y parqua des esclaves pour les revendre dans les autres îles, tout en gardant les plus forts pour eux!!! De cette époque il reste le nom de Codrington donné à l’unique village de l’île. Les blacks ne sont vraiment  pas rancuniers  en conservant ce nom à la localité.

Mercredi 29 avril.

J’ai  quitté Barbuda Harbour à 5h45 du matin pour Saint Barthélémy  situé à 75 miles à l’ouest nord-ouest. J’ai navigué sous GSE tangonné par vent de sud-est de 12 noeuds  puis sous GSE et GV  entiers par vent de sud engendrant une agréable navigation sur une mer belle. 
A 19h30, je suis arrivé à la capitale, Gustavia. Le mouillage extérieur était rouleur et j’ai continué sur la pointe nord-ouest où , à la nuit tombée, j’ai mouillé dans l’Anse du Grand Colombier bien abritée. 

Jeudi 30 avril. 

Au petit matin, le spectacle de l’endroit abrité,  entouré de collines arides ou  verdoyantes,  était  bien calme et reposant. De plus,  je me suis  régalé avec mon masque et mon tuba, dans les rochers le long de la côte au milieu de nombreux poissons aux couleurs éclatantes. 
Je rejoins Gustavia à nouveau pour effectuer ma clearance et chercher une place au port ou dans un mouillage acceptable. Le port est mal abrité et la houle y pénètre. J’exclus donc l’amarrage à quai où, avec le ressac, les bateaux roulent et tirent sur leurs amarres. J’ancre dans le premier mouillage assez rouleur à l’entrée de la baie. Et je gagne la capitainerie en annexe. Les formalités sont rondement menées dans la bonne humeur. 

Saint Barth , 7500 habitants pour 24 km2 culminant à 280 mètres, rassure les nombreux touristes américains ( représentent 90 % de la fréquentation touristique , s’y ajoutent quelques Brésiliens, russes et Vénézuéliens) qui apprécient l’absence de population noire dont les rares représentants sont planqués dans les arrières-cuisines et autres emplois « cachés ». A la moitié du XVII ème siècle, une centaine de paysans normands et bretons s’installèrent sur cette île aride et montagneuse. Ils  travaillèrent sans esclave. Un siècle plus tard, ils était devenus 600 quand Louis XIV céda l’île à la Suède qui fit de Gustavia un port franc et qui l’est resté depuis. La Suède revendit l’île à la France en 1877, toujours avec la même population paysanne non métissée. 



                                                  Port de Gustavia à Saint Barth.

J’ai loué un scooter pour 24 heures et j’ai visité l’île dans tous les recoins possibles . Je  venais à St Barth un peu à reculons, juste pour voir  ( un peu comme je l’avais fait pour St Tropez que j’avais finalement beaucoup apprécié). Et bien l’expérience s’est répétée et j’ai été profondément enchanté par les paysages naturels, l’harmonie de l’habitat et la propreté de l’île.
Les côtes baignant dans des eaux turquoises, parfois à l’abri des barrières de corail, les multiples plages splendides de sable blanc sans entassement de touristes, les véritables petites montagnes assez boisées, les lacs intérieurs, les salines, les points de vue extraordinaires , le petit aérodrome à l’atterrissage délicat ( licence  spéciale nécessaire pour les pilotes), l’harmonie dans l’habitat groupé ( toujours avec des toits rouges),   la discrétion des villas luxueuses, une propreté exemplaire, la végétation très fleurie, la disponibilité de ses commerçants … m’ont bluffé. 
 L’argent n’y arrive pas par hasard. A saint Barth, un studio se loue 1500 euros par mois. A Gustavia, un appartement haut de gamme de 45 m2, donnant sur la mer s’est récemment vendu … 1 600 000 euros. Les girolles peuvent se vendre 70 euros le kg. Les bars et les restaurants sont accueillants, esthétiques, professionnels et  d’excellente qualité avec des prix … juste raisonnables ( 30% plus cher qu’en France provinciale). 
J’ai discuté avec quelques habitants à l’année, notamment, un artisan spécialiste du froid dans la restauration, Normand  et vivant sur l’île depuis 15 ans et un jeune Lorientais sur l’île depuis 18 mois et travaillant dans le tourisme et l’immobilier. 
L’artisan avec qui j’ai partagé un repas m’affirmait qu’il bossait comme un dingue depuis son arrivée.  Et cependant,  il envisage de prendre sa retraite en Normandie, faute de moyens financiers suffisants pour rester sur le caillou.
Le jeune homme cumulait deux emplois différents ( comme le font énormément de gens ici m’a t-il dit) et travaillait  sans compter ses heures, 6 jours et demi par semaine toute l’année. Le chômage n’existerait pas sur l’île et la délinquance serait rare.

Une fois encore, je serais bien resté quelques jours de plus.

N° 1200 vieux voiliers

                                                Vieux voiliers de St Barth.



                                C'est la mode: yack et 3 moteurs de 300 cv pour l'annexe.

Vendredi 1 er mai.

A 14 heures, je lève l’ancre de Gustavia pour gagner la baie de Marigot sur la côte ouest de Saint Martin pour 25 miles de mer en longeant la côte sud de la partie hollandaise, Sint-Maarten. Le vent de 12 noeuds  d’est est  me pousse tranquillement ( encore une fois) jusqu’à l’arrivée,  à la tombée de la nuit. Je mouille par 5 mètres d’eau dans l’immense baie de Marigot en compagnie de quelques dizaines d’autres voiliers.
La côte sud est gâchée par des constructions d’une laideur et d’une dysharmonie pénibles à l’oeil. 
La partie française parait moins salie et la côte plus belle et moins polluée par l’habitat. Evidemment après Saint Barth, le contraste est saisissant. La société bilingue, au 3/4 noire et un peu métissée,  est sous influence anglo-saxonne. 

Samedi 2 mai.

Dès le matin , je me dirige vers la marina de Fort Louis pour effectuer les formalités d’entrée et de sortie,  tous les pleins  et le rinçage  à l’eau douce de Java tant intérieur qu’extérieur  … et la lessive confiée à une laverie. En entrant dans la marina , je vais directement au poste carburant et attends derrière une grosse vedette de pêche de loisir. Et je demande au pompiste:
  • T’as mis combien de fuel dans le réservoir? 
  •  4 000 litres. Mais cela n’est rien. En un seul plein, un seul, j’ai déjà délivré 25 000 litres,  me précise t-il.
  •  25 m3 !!!  A 1.20 euro le litre , le plein coûte 30 000 euros, répondis-je. 
  • Tu calcules bien.
Depuis Pointe à pitre, Java avait consommé 31 litres. Je suis rassuré. 

Saint Martin et surtout Sint-Maarten ont visé juste ( économiquement) en créant des infrastructures pouvant recevoir des méga yachts que les propriétaires ont du mal à caser ( certains dépassent les 200 pieds donc les 60 mètres). 

Le personnel de la marina est accueillant ( je répète souvent cette vérité) mais les prix sont élevés. Sur 50 jours aux Petites Antilles, j’aurai passé 10 nuits aux pontons dont la moitié en arrivant au Port du Marin, pour « raisons techniques ».  



                                             Maisons coloniales à Marigot.

J’ai rapidement visité la ville de Marigot jusqu’à la marina Port La Royale. Je ne m’en suis pas éloigné, faute de temps. Cette partie de la ville est plutôt propre et agréable. L’île, au  taux de chômage très important,  a une mauvaise réputation quant à la sécurité des biens et des personnes. 
J’ai effectué le plein de bouffe et de liquides près du port  dans un supermarché U très propre,  extraordinairement bien achalandé et avec des prix corrects. 


Dimanche 3 mai 2015 à 17 heures.

Java est mouillé dans la baie de Marigot parmi de nombreux autres voiliers. 
Demain matin, je prends la route du retour via les Açores,  cap au 47° sur 2200 miles pour une route directe jusqu’à Horta. 

En partant des Petites Antilles,  deux  options principales sont possibles:
* la route classique en remontant vers les Bermudes puis en les laissant 300 miles à l’ouest et en gagnant le 38-40 ème parallèle avant de se diriger vers les Açores. Avantages: vents normalement plus favorables . Inconvénients: risque de vents forts sur le chemin des dépressions, route plus longue en distance ,  plus fraîche, plus humide.
* la route directe vers les Açores. Avantages: route plus confortable et plus courte en distance ( mais pas forcément en temps, loin s’en faut) . Inconvénients: risque de vents faibles voire de calmes et de pétole.

Après une  réflexion rapide , les coups de vent répétés ne me branchant pas trop , j’ai choisi la route directe, enfin la plus directe possible, en prenant le risque de me traîner certains jours mais je ne suis pas trop pressé. J’irai un peu là où le vent me mènera. De plus, mon ami Vincent me routera tous les trois jours environ et m’indiquera la bonne ou la moins mauvaise direction.  

Je viens de faire mon dernier bain dans l’eau à 28° ( à moins que ce soir ou demain matin …). 
Sept semaines se sont écoulées depuis mon arrivée aux Petites Antilles. Je les quitte avec une certaine émotion. J’ai apprécié, de façons différentes,  toutes les îles que j’ai visitées.  Seuls les  « boat-boys » de Sainte Lucie m’ont agacé.
J’ai évité les coins malfamés et  ne me suis jamais senti en insécurité. Je n’ai personnellement jamais senti de racisme  à mon égard. J’ai plutôt perçu  un certain racisme « du blanc pour le noir » avec toujours une forme de domination sous-jacente. Le personnel ( souvent noir ou métis sauf à Saint Barth) des marinas que j’ai fréquentées a toujours été souriant , compétent,  décontracté. 

Hier et aujourd’hui, j’ai préparé Java pour 20 à 28 jours de mer environ : plein d’eau, plein de carburant, plein de bouffe, plein de boissons, rangement des coffres, des placards, protection  contre les chocs et l’humidité du matériel fragile, vérification du matériel de navigation, du moteur, du gréement, des voiles … , recharge de tous les appareils ( VHF portable, perceuse, lampes à leds , caméra, appareil photo, téléphone satellite, ordinateur, téléphone portable, radio ). Je suis prêt et j’ai hâte de partir.


Lundi 4 mai 2015.

Il est 7 heures. L’alizé souffle à 18- 20 noeuds d’est. Il fait beau avec un ciel un peu nuageux, la température extérieure est de 25° et intérieure de 30°.
Hier soir, à la tombée de la nuit, un gros catamaran est venu mouillé à 20 mètres de Java  ( et oui, encore un, décidément, c’est une manie) sur un plan d’eau de plus de 20 km2 !. Pour être peinard, j’ai déménagé. Blasé, je ne râle même plus. En relevant l’ancre, le guindeau électrique a cassé ( sans doute au niveau de l’axe du barbotin) et la chaine s’est mise à défiler rapidement dans l’eau . Heureusement le mouillage était à peine de 5 mètres de profondeur. Sur le coup, je me suis entendu  être grossier et puis je me suis dit qu’il déclarait forfait, sans doute au moins mauvais  moment , dans une  situation sans risque ( je savais le guindeau un peu sous dimensionné).

Allez hop, c’est parti.

Horta, mon port de destination est situé à Faial aux Açores à 2175 miles exactement. Alizés, puis calmes puis vents plus ou moins forts surtout du sud au nord-ouest , le tout agrémenté probablement de quelques surprises,  jalonneront la croisière.



                                                         Nord de St Martin.

Anguilla, île plate et longiligne de 15 miles de long, territoire britannique d’outre mer, me barre le passage et m’oblige à tirer un premier bord et je passe entre Tintamarre ( ile privée mais déserte avec des beaux mouillages)  et Saint Martin. Poupou ( mon nouveau pilote électrique de remplacement)  était à l’essai ce matin et s’en est sorti correctement. Georgette,  toute rouge, me regardait de travers et je l’ai mise au boulot avant qu’elle fasse un malheur.
La mer est agitée. Sous trinquette et GV avec deux ris, Java avance bien au près bon plein en gitant et tanguant.  Les vagues éclaboussent le pont mais la capote bien.
Les veines de sargasses deviennent moins denses, moins larges et moins épaisses. Les poissons volants sont toujours de sortie. 
J’ai gardé la même voilure pour la nuit. La lune était pleine et la navigation remplie de charme et de mystère, presque magique. 

Mardi 5 mai 

Le vent a faibli à 15 noeuds et est remonté à l’est nord-est. J’ai remis le GSE avec 1/2 ris et la GV avec 1 ris. 
Le temps est beau.
A 7h30, je suis à 112 miles de Marigot et à 2073 miles de Horta. 
J’ai accompli 102 miles sur le fond vers Horta.
La température cabine est de 31°.

En soirée, le vent a reforci à 20-25noeuds. Java évolue sous GSE à 2 ris et GV à 2 ris.
Des cumulus et cumulonimbus ont caché le coucher du soleil . La mer a même un peu changé de couleur en mettant du vert dans le bleu. Elle était agitée et assez courte avec une houle d’est de 2 mètres.

Mercredi 6 mai 

Depuis le départ, je suis à l’allure du prés. Je remonte donc vers le vent le plus possible et cette . nuit de nombreuses vagues ont envahi  le pont de Java. Cette allure est un excellent révélateur de toutes les fuites d’eau tant au niveau des capots, que des hublots, des panneaux de pont , des fixations d’accastillages… et je me suis aperçu que Java s’était garni de quelques entrées d’eau supplémentaires, rien de grave bien sûr mais agaçant.
Quotidiennement, j’actionne manuellement la pompe de cale. Ce matin, j’ai évacué 20 ou 30 litres d’eau ( surtout entrée par la baille à mouillage). Ma pompe électrique ne se déclenche qu’avec une présence d’eau un plus plus importante.

A 7h30, Marigot est à 233 miles et Horta à 1962 miles.
Aujourd’hui, j’ai accompli 111 miles sur la route directe.

A 15h30, mon routeur perso, Monsieur Vincent m’a renseigné sur les prévisions météo ( alizé est nord-est de 16 noeuds environ pendant trois jours) et m’a conseillé  de remonter le plus possible au vent avec un cap idéal à 50°. J’ai « serré les boulons «  et bordé les voiles au maximum quitte à perdre de la vitesse. 

En fait dans la soirée, le vent est passé sud-est me permettant de me caler sur la route directe.

Jeudi 7 mai

La nuit a été calme.
Je suis à 1851 miles de Horta.
J’ai accompli 111 miles depuis hier.

A 9 heures, le vent est tombé à 12 noeuds,  en passant  malheureusement à nouveau est nord-est, et vers 12 heures, il a encore faibli et souffle à 6-8 noeuds. Je navigue à 2-3 noeuds . Le vent est trop faible pour Georgette et j’ai mis Poupou au boulot.

Vers 15 heures, l’alarme de mon ASI  (Automatic Identification System = système anticollision ) sonne et  sur l’écran du GPS s’inscrit l’identité d’un bateau, son cap, sa vitesse et la distance minimale à laquelle nous nous rapprocherons l’un de l’autre et dans combien de temps. C’est presque magique:
Maersk Niagara
MMSI 477170400
Call Sign VRE09
Vitesse 16.3 Kt ( noeuds)
Cap 243°
CPA ( distance minimale de croisement) :1.58 nm ( mile nautique).
Il s’agissait d’un gros porte-conteneurs.



                                            Porte conteneur au boulot. C'est gros!

Vers 17 heures, le vent a repris un peu de vigueur à 12 noeuds  toujours d’est nord-est. Georgette reprend les commandes et je fais un cap au 15° ( alors que Horta est au 52° !).

Vendredi 8 mai 2015.

A 7h30, je suis à 442 miles de Marigot et 1757 miles de Horta.
J’ai accompli 94 miles sur la route directe vers Horta ces dernières 24 heures.
Il fait toujours beau et chaud, et 29° dans la cabine. 

Cette nuit, dans la clarté de la lune,  j’ai rattrapé un copain , Henri, sur son sloop. Je marchais à 25 noeuds et lui à 20. Je l’ai doublé dans une côte.  Il s’est mis en danseuse pour essayer de me suivre. Je l’ai salué en lui montrant le sommet. Je ne voulais pas ralentir dans la montée où j’ai retrouvé encore une autre connaissance, Gaston,  lui aussi sur son beau voilier. 
Au sommet de la colline, j’ai levé le pied pour attendre les deux amis  qui naviguent eux aussi en solitaire. 
-  Elle avance bien ta monture. Même en danseuse, je ne te suivais pas, me dis-Henri.
  • Aujourd’hui, elle est en grande forme. Mais d’où viens-tu? lui demandais-je.
  • Je viens du Centre, m’affirmait t-il.
  • Du Centre???  le questionnais-je.
  • Oui, oui du Centre,  confirmait-il.
  • Du Centre?! Ok. Ce soir, retrouvons-nous au Bar  Le Cormoran Borgne à Sein, d’accord?  leur dis-je.

Ah, les rêves!

Je suis toujours au prés, l’allure où le bateau gite le plus. Java est penché constamment à 20-25° et tout devient difficile. Trouver la  moins mauvaise position pour dormir, pour m’asseoir, pour m’allonger, pour cuisiner, pour lire, écrire … n’est pas évident. Je m’habitue par obligation à cette allure fatigante et usante qui sollicite beaucoup les muscles de maintien de position et les articulations notamment les genoux ( qui compensent sans arrêt) et les épaules ( qui jouent le rôle d’amortisseur des prises et retenues incessantes). J’apprends à limiter les déplacements, à les optimiser,  à bien me caler là où il faut, à n’effectuer que l’indispensable. 

A 14 heures, comme tous les jours, je passe un coup de téléphone à Claudie pour la rassurer et avoir le plaisir d’entendre sa voix.
A 15h30, j’ai l’ami Vincent aussi au téléphone qui me guide selon les informations  météorologiques et ma position ( s’il se trompe, ça va chier des bulles à l’arrivée!)
- Tu remontes tout ce que tu peux. Les dépressions sont à 800 miles au nord et tu devrais bénéficier d’un vent d’est nord-est ou d’est de 12-14 noeuds environ durant les trois prochains jours. La houle de nord-est sera de 2 mètres et les vagues de 1 mètre, me dit-il.
- Bien reçu. Merci Vincent. Kenavo et  à dans trois jours .

Samedi 9 mai 2015

A 7h30, je suis à 528 miles de Marigot et 1686 miles de Horta.
J’ai avancé de 71 miles vers Horta ces dernières 24 heures. Cette petite performance est effectuée dans un fauteuil.
Beau temps, belle mer, vent est nord-est.
Cette nuit a été calme, trop calme. Le vent d’est nord-est soufflait à moins de 10 noeuds et j’ai eu tord de laisser Georgette aux commandes. Elle se laisse aller dans les petits airs et se permet des détours imprévus. Dorénavant, à moins de 10-12 noeuds de vent, je mettrai Poupou à la barre comme à présent où j’avance à 4 noeuds environ avec un  cap  à 35 degrés.

Quand je prends la mer, je suis un peu fatigué les 2 ou 3 premiers jours et je me repose beaucoup. Je dois retrouver mes repères et m’adapter aux mouvements incessants du bateau. Depuis hier, je suis en pleine forme et j’ai tout mon temps pour lire, écrire, cogiter, rêver, réfléchir, m’évader, écouter des chansons et même leurs paroles. Hier, je me suis tapé du Renaud avec Germaine, Hexagone, quand le vent soufflera … que je redécouvre avec un énorme plaisir. Il me manque Coluche, quel con! Il devait prendre trop de place pour que je l’emmène avec moi.

Quand tout est calme, j’ai le temps, plein de temps à déguster, à susurrer, à titiller, à taquiner, à dépecer. Je pense, je réfléchis, je divague, je rêve, je rigole, je m’évade, je chante un peu ( je m’en fous, personne ne m’entend ni ne viendra frapper à la porte ), je parle tout seul aux autres, et même, je me parle,  souvent doucement mais parfois vertement.



                                                                 Tout est calme.

Je ne retrouve nulle part ailleurs ces longs moments privilégiés, un peu hors du temps et de l’espace,  que je vis au présent. Dans ma vie, je ne regrette rien et ne regretterai jamais rien malgré les quelques conneries et erreurs que j’ai  pu commettre. Je ne peux pas regretter puisque  je ne me retourne jamais sur mon passé et ne le revis jamais. Je vis sur mon passé et non avec mon passé . Je regarde devant même si  j’adore utiliser le rétroviseur. Ici, étant seul au milieu de l’océan, je peux passer le temps que je veux à voir défiler les images et les films de la vie, de ma vie  dans tous les rétroviseurs que je veux, sans craindre l’accident. Dans la vie, des petits riens orientent souvent les  existences , le plus souvent inconsciemment, je crois. 
De mon enfance, de mes premiers souvenirs, dans le miroir, la vie s’égrène jusqu’au moment présent. Puis mon regard se prolonge devant moi jusqu’à ma propre fin. Je n’appréhende aucunement la mort. Je crains par contre les derniers moments de vie et j’espère réellement avoir la chance et la volonté de pouvoir me les approprier afin de ne pas subir la déchéance ( ne pas agir trop tôt mais ne pas attendre trop tard, la limite est ténue).

Quand je voyage, le poids des religions et des croyances se manifeste encore plus fortement au travers de certaines particularités . Ainsi, dans toutes les îles des Petites Antilles que j’ai visitées, plusieurs stations de radiodiffusion n’étaient que religieuses ( je ne sais pas pour la TV) et les avis d’obsèques sont dictés plusieurs par jour sur les radios publiques. Les offices religieux étaient très suivis et les églises ou autres lieux de culte étaient pleins de pratiquants endimanchés , et les derniers arrivés étaient souvent à l’extérieur. Découvrir une région, une île, un pays implique de se pencher sur son histoire où, là encore, les faits religieux tiennent une part importante et constante. En réalité, les Etats laïques sont rares ( La France, la Turquie quoi d’autres…) et n’empêchent pas les religions de s’y insinuer. 
Il est difficile de parler religions et croyances sans froisser. En parler touche le sacré avec en corollaire le risque de profaner, de blasphémer avec pour conséquence le risque réel et encore actuel de le payer de sa vie,  à travers le monde et même en France! 



La navigation mène à tout et globalise la vision de la vie, de sa vie. Loin des côtes, sur la mer, la vision sur l’existence et sur son existence est maximale, dans le silence et l’immensité. Naviguer, voyager, c’est ouvrir les yeux,  les oreilles et ses neurones. En visitant les Antilles, le colonialisme,  l’esclavage ont ressurgi violemment devant moi et m’ont beaucoup interpelé. Dans le temps qui suivra mon retour, j’y reviendrai certainement sans exclure l’impérialisme occidental du XIX ème et XX ème siècle, à travers le monde. Pourquoi tant d’injustices et de souffrances pour satisfaire la richesse d’une minorité ?
Le Normand avec qui j’avais mangé à St Barth me racontait l’histoire d’un  jeune employé métis fraichement diplômé  qu’il avait embauché. Il lui avait signifié qu’il avait encore beaucoup à progresser. En réponse, ce jeune homme sous-entendait une certaine forme de racisme. Le Normand lui a répondu : «  Ton père était-il esclave? Ton grand-père était-il esclave? Non, alors, tourne la page! ».  Cette réponse est trop facile me semble t-il surtout quand ces derniers jours, une polémique s’est levée au sujet de l’érection d’une stèle commémorant l’arrivée des premiers colons à la Guadeloupe dans la première moitié du XVII ème siècle ( à l’initiative de certains élus). J’ai du mal à saisir de telles démarches quand le colonialisme  aux Antilles a éliminé la quasi totalité des aborigènes (  véritable génocide qui ne dit pas son nom) puis engrangé des richesses grâce à l’esclavage (  esclave qui, soit dit en passant,  ne pouvait être que catholique). Lors de l’abolition de celui-ci, les colons ont même été dédommagés. Personnellement, j’ai vraiment du mal à comprendre,  à moins d’admettre que la valeur de la vie humaine varie en fonction de la couleur de peau, du statut social, de la richesse matérielle … Pour moi, une vie égale une vie.  

Java me tire le bras: 
- Oh, Gildas, et la navigation? 
  • Bon, bon  j’arrive,  tu n’est pas à 3 secondes près, lui répondis-je. 
11 heures. Il fait beau et chaud. la mer est belle, le vent de plus en plus  faiblard mais les conditions de navigations sont sublimes. Ces calmes étaient prévisibles mais je les attendais dans une mer plus agitée ici  au milieu de l’océan atlantique. Rien ne me dit que la houle n’augmentera pas et ne chahutera pas les voiles d’un  Java désemparé. Mais pour l’instant, je profite de cette quiétude.

Comme tout voilier biquille,  Java tiens un cap plutôt passable au près mais son très grand génois  lui permet  d’avancer avantageusement  même dans très peu de vent, même avec des dessous un peu salis  et une surcharge de poids. 



                                                        Coucher de soleil dans la pétole.

Dimanche 10 mai 2015

La nuit a été très, trop calme avec un vent à bout de souffle.
A 7h30, Marigot est à 598 miles et Horta à 1632.
Java a avancé de 54 miles sur la route directe.
La pression atmosphérique est à 1022 et la température de la cabine à 27°.


De 9 heures à 15 heures, j’ai subi une ligne de grains avec pluies et bourrasques. Le vent a varié  incessamment  en force ( passant de quelques petits noeuds à 25 noeuds) et en direction avec des variations de 40° rendant ainsi les réglages de voiles laborieux ( passant de la voilure entière à des voiles arisées au maximum). La mer était forte et plus ou moins croisée avec parfois des creux de 3 ou 4 mètres.
Vers les 15 heures, les grains ont disparu mais le vent d’est nord-est soufflait à 20-22 noeuds. Depuis le matin, la trinquette avait remplacé le GSE.  
Vers 22 heures, le vent se maintenait et j’ai gardé la même voilure. Je me suis couché avec une température de 25° dans la cabine ( ça descend, ça descend…).

L’allure du près est exigeante pour de multiples raisons mais particulièrement pour le bon réglage de la voilure. 
Trop voilé, le bateau gite de trop, se vautre, zigzague, dérive un maximum et perd de la vitesse. 
Trop peu voilé, il pioche, dérive et « patine ».
Dans les deux cas, le pilote électrique et le régulateur d’allure travaillent mal.
Au près, un bateau à la voilure bien réglé a une allure magnifique. Et même si je ne suis ni compétiteur, ni en course, j’aime avoir des bonnes sensations sur un bateau qui a fière allure.
Vous l’aurez compris , aujourd’hui, j’ai donc passé énormément de temps au réglage des voiles sans avoir le temps de rêver ou de cogiter.

Lundi 11 mai,

3 heures du matin, je sens bien que le vent a bien fléchi,  que je me traine.  J’ai la flemme de sortir de la chaleur de ma couchette mais cependant je dois.  Je remplace la trinquette par le GSE non arisé, je libère la GV en entier mais le vent est variable en force de 10 à 16 noeuds environ. Je mets une demi-heure à trouver le bon compromis à savoir 1 ris dans chaque voile.
5 heures du matin, le vent mollit encore, la mer reste agitée. Et je ressors pour libérer toute la voilure. 
La plaisance, c’est le pied!

7h 30, je suis en mer depuis juste une semaine.
La température est de 24°
Java est à 710 miles de Marigot et 1556 de Horta.
Je me suis rapproché de 76 miles de mon point d’arrivée en une journée et de 619 miles en une semaine avec un cap moyen de 26°.
Depuis une semaine, à part ponctuellement, le vent est resté est sud-est et ne m’a pas permis de suivre la route directe. Tant pis. Le vent a été variable en force , de quasiment nul à 25 noeuds et les réglages de voiles assez nombreux. La mer a été assez forte pendant 2-3  jours, mouillant bien Java. Il a plu une demi-journée sous les grains. Le soleil a souvent été présent et les nuits étoilées.  En dehors de la nuit passée et malgré les deux journées plus remuantes, cette semaine de navigation a été plutôt agréable. Je n’ai vu qu’un seul bateau. Je n’ai pas vu d’animal marin. 

10 heures,  la mer s’est bien calmée. J’ai fini le train-train quotidien:  rangement de la bannette, rasage, toilette, petit déjeuner, vaisselle, coup d’oeil circulaire sur le pont du bateau, rangement des bouts …
Le temps à la cogitation est ouvert. Je voyage beaucoup avec mes yeux, mes oreilles et ma cervelle.





Mardi 12 mai 2015,


7h30, la nuit a été calme avec un vent variable de 6-10 noeuds.
Il fait beau et 25° dans la cabine mais à l’extérieur, l’air est plus vif. J’ai bien quitté les tropiques. Je ne vois plus de poissons volants.
La pression atmosphérique est à 1024. 
Je suis à 814 miles de Marigot , 1500 miles de Horta, 2700 de Noirmoutier 
 et environ 1000 miles de New York et de Saint Pierre et Miquelon. Je suis bientôt à la latitude des Bermudes que je laisserai à 400 miles environ sur bâbord.

Il est midi et je lézarde à 1-3 noeuds vers le nord sur une mer peu agitée, à peine ridée. 
J’en ai profité pour entourer les 4 hublots du carré de Java de ruban adhésif pour limiter les infiltrations d’eau ( peu importantes mais suffisantes pour entretenir une certaine humidité à bord en cas de pluie ou de projections d’eau de mer).
J’ai atteint le 31 ème parallèle nord. Normalement, je devrais sortir de cette zone anticyclonique dans 24-48 heures et commencer à bénéficier des vents portants. 

Plus le vent est faible, plus il est difficile de bien régler les voiles qui deviennent rapidement battantes et peu expressives. J’hésite à démarrer le moteur tant le vent est faible mais  je me donne quelques heures. Il fait beau, chaud, tout est calme. Je suis seul, je n’ai pas de date précise pour atteindre les Açores, j’ai  suffisamment de réserves en eau et en nourriture  pour me permettre de traînasser un peu alors … j’aviserai ce soir si la pétole continue. En attendant, je vis au ralenti. 

Tous les jours, je vois quelques oiseaux: des océanites, des sternes, des puffins , des pailles en queue… Malheureusement, je ne possède que le guide des oiseaux européens et d’Afrique du nord et ne peux être plus précis. Ce matin, un énorme porte conteneurs est passé à 8 miles devant Java et j’ai entendu un équipier d’un voilier qui conversait avec lui à la VHF. 

Il est 21 heures et depuis 14 heures, le vent souffle à « moins » zéro noeuds. J’ai démarré le moteur qui nous pousse vers le nord à 5.5 noeuds. 

Cet après-midi à deux reprises, mais assez loin du bateau, j’ai vu un gros animal, genre cétacé, qui se déplaçait en surface avant de plonger. Qu’était-ce? 



La nuit passée,  à 3 heures du matin, j’étais en plein sommeil et j’entends le téléphone qui sonne. Je décroche et j’entends:
  • Ici le Pape François, tu vas bien?
  • Ok François, mais tu as vu l’heure qu’il est ? lui répondis-je. 
  • 9 heures  à Rome. Ecoute Gildas, j’ai réfléchi au contenu de ton mail et finalement, j’ai infléchi ma position sur les préservatifs.
  • Tu mets du temps à réfléchir, ça fait 3 mois que je te l’ai envoyé et alors c’est quoi ton inflexion? lui rétorquais-je.
  • Tout d’abord je confirme que l’abstinence sexuelle est le meilleur moyen pour éviter de contracter les MST MAIS j’ajoute que si,  exceptionnellement bien entendu, l’attrait de la chair se faisait plus fort que la volonté de s’abstenir, exceptionnellement bien sûr, je conseille le port du préservatif. 
  • Et bien merci François, avec juste un  brin de réalisme et d’humanisme, le tour est joué!

Et merde, encore un rêve. Dommage. 


Mercredi 13 mai,

7H30.  Hier soir à 23 heures, j’ai remis les voiles  par un tout petit vent de 7-8 noeuds de sud est et j’avance à 2 noeuds.
Il fait beau, la température de la cabine est à 22° mais dehors, l’air est frais. 
La pression a légèrement descendu à 1022.
Je suis à 807 miles de Marigot et 1433 de Horta et ai donc avancé de 67 miles sur la route directe en 24 heures.
A 9 heures, le vent passe au sud sud-ouest à 10 noeuds  puis forcit progressivement.  Je mets les voiles en ciseaux ( GV d’un côté et GSE tangonné de l’autre). Je progresse à 4.5 noeuds, cap au 35°. J’attends les conseils de Vincent que j’aurai au téléphone cet après-midi.
J’ai eu la visite de quelques puffins majeurs intrigués par ma ligne de traine tristement et durablement inefficace.

Faut-il un téléphone satellite à bord pour les grandes traversées?
Je me suis décidé à en prendre un au dernier moment et une bonne affaire sur le bon coin a accéléré ma décision.
Une traversée de l’Atlantique dure de 15 à 30 jours en fonction du temps et des étapes. Je comprends que ceux qui restent à terre puissent s’impatienter surtout si le temps prévu est dépassé.
Lorsque je prends la mer , je ne peux donner qu’une fourchette de temps pour ma croisière. Beaucoup d’imprévus peuvent interférer notamment la météo ( calme, direction défavorable du vent …) , les soucis techniques ( déchirure d’une voile, blocage d’un enrouleur, faiblesse du gréement , du gouvernail, panne de pilote …).
Le téléphone satellite a  beaucoup d’avantages en permettant:
* De joindre et d’être joint sur toute la planète Terre 
* De contacter directement la famille ou les secours
* De recevoir des mails, des bulletins météo via un ordinateur ( malheureusement je n’avais pas le câblage nécessaire).
Il a aussi deux inconvénients majeurs: 
* Le prix: 1200 euros le combiné plus 600-700 euros pour une carte d’environ  500 minutes de conversation sur un an par exemple 
* Et surtout le risque de panne ( soit du combiné, soit du matériel de recharge de la batterie …)  qui , lorsqu’elle intervient , inquiète d’autant plus les contacts à terre et contrarie tout autant le navigateur. 
En pratique, je prends grand soin de mon téléphone doublement protégé des chocs et de l’humidité. Il ne quitte pas la cabine du bateau et ne va jamais à l’extérieur. Mais je ne suis jamais à l’abri d’une maladresse ou d’un problème technique.  Pour l’instant, il fonctionne à merveille. 

Vincent m’a fourni des bonnes nouvelles pour les 4 jours à venir : vents de 4 à 6 beaufort de travers ou  au portant.  
Je suis sorti de la zone anticyclonique et j’ai mis le clignotant à tribord sur la route directe des Açores. Ce soir, je prends mon pied avec  Java qui se régale à plus de 6 noeuds au grand largue dans une mer peu agitée. Le confort est maximum: peu de gite et de tangage, pas de bruit de choc sur la coque , pas de mouvement pénible, pas de vague traitresse . Que du plaisir!  
Je navigue sous SGE et GV, les deux arisés à 1 ris.  Hum, le vent a dû forcir. Je viens de voir passer  un surf à plus de 9 noeuds sur mon GPS. Je vais réduire la voilure pour dormir tranquille cette nuit. 



                                   Ecran GPS, virage à gauche ( tracé en noir fait 200 miles)

Au coucher du soleil, un pétrolier est passé à 3 miles devant moi. Finalement, dans cette zone perdue,  le trafic n’est pas négligeable et justifie une attention particulière.

Hier soir, j’ai vu le fameux rayon vert  juste au moment où le soleil disparaissait derrière l’horizon dans un ciel totalement dégagé sur une mer totalement plate. Je l’ai bien vu pendant une bonne seconde suivi d’une tache , elle aussi verte.  En réalité, je n’ai pas vu un rayon mais j’ai observé seulement un point  bien vert …alors? Rayon vert ou pas?


Jeudi 14 mai.

7h30. Il fait beau, 25° dans la cabine.  La pression est à 2020.
Je suis à 1326 miles de Horta et 1217 de Flores ( peut-être arriverai-je plutôt sur cette île de l’ouest de l’archipel dans le port de Porto Das Lajes qu’à Horta). 
J’ai effectué 107 miles de route directe depuis hier. 
Le vent est sud-ouest à 15 noeuds et la mer agitée. 

A midi, j’ai mangé le poisson volant qui a malencontreusement atterri dans le cockpit la nuit passée. Il était gros comme deux sardines mais vraiment délicieux avec une chair maigre, goutée et ferme.

J’ai encore vu un cargo qui est passé à 2 miles sur mon tribord.

En fin de journée, le vent est passé sud en forcissant rapidement à 25 noeuds. Java avançait sous trinquette à 2 ris et GV à 3 ris. La mer est devenue forte et remuante mais pas méchante. 

Vendredi 15 mai.

7h30.  Le temps est nuageux à la limite de la pluie. 
La pression est à 1018.
Je suis à 1083 miles de  Flores et 1189 de Horta et 800 de Terre Neuve.
J’ai effectué 134 miles sur la route directe.
Dans la cabine, la nuit a été assez agitée et pénible avec des  vagues qui éclataient  bruyamment  sur le pont.  Dans ces conditions, le repos n’est que partiel avec pour conséquence des siestes obligatoires dans la journée mais elles aussi difficiles. 
Ce matin, j’ai encore réduit un peu la voilure et je suis au travers avec un  vent de 25-28 noeuds de sud sud-est. La mer est forte.
Vers 14 heures, le vent faiblit à 15 noeuds puis vers 16 heures, en 2.5 secondes, le vent passe au nord-ouest ( l’air rafraichit de 6 ou 7 degrés d’un coup ) variant ensuite sans cesse de 5 à 20 noeuds et accompagné de grosses pluies . 
Vers 21 heures, le spectacle pyrotechnique éclate avec  orages et éclairs fantastiques dans cette nuit noire. Le vent tombe à « moins » zéro noeud pendant 3 heures et je mets le moteur en marche et le cap plein nord pour rechercher un souffle d’air. Et il pleut toujours autant. 
Vers minuit le vent réapparait  de nord-ouest faiblement d’abord puis atteint rapidement 25 noeuds.  J’établis une voilure volontairement limitée et vais me coucher. 
A 5 heures, la pluie s’est arrêtée . Le vent reste nord-ouest   en faiblissant considérablement et j’adapte la voilure.
Ce genre de situation est éprouvante et fatigante puisque les manoeuvres sont répétées et s’effectuent en plus dans l’humidité. Je me répète: « réfléchis, prends ton temps, ne te précipite pas, fais bien dès la première fois, reste zen, ça passera » . Pour ne pas tremper l’intérieur du bateau ( enfin moins mouiller) , à chaque fois que je sors dans le cockpit ou rentre  dans  la cabine, je mets ou retire ma tenue de mer… j’enlève et remets les panneaux de descente.


Samedi 16 mai.

7h30, je suis mal reposé.
Il fait beau et bon, 23° dans la cabine. La pression est à 1015.
Je suis à 1001 miles de Florès et j’ai effectué 81 miles en 24 heures, donc bien peu par rapport aux efforts fournis.

Le vent repasse sud-ouest à 8-10 noeuds et je mets les voiles en ciseaux et avance à 3-4 noeuds.
La mer se calme et devient peu agitée. J’en profite pour me reposer.

P…, quelle journée et quelle nuit!  Quel plaisir d’être assis devant un feu de cheminée avec les châtaignes qui grillent et le cidre à portée de la main… parfois.

En mer, quand il est fait beau, le monde  parait sans limite et je l’invente ou l’imagine là-bas derrière l’horizon, ou la nuit au-delà du ciel étoilé . Toutes les navigations illimitées deviennent envisageables.  Je plane.
En mer, quand il fait mauvais, le monde se resserre autour de moi et je me recroqueville dans  mon petit Java en fermant tout. Je suis abrité dans ma petite bulle au milieu du vaste océan et je ne fais plus trop le malin. Je pare au minimum indispensable, je m’économise et me protège. Je ne plane plus, je me concentre.  Que faire d’autre? Et après la pluie… vient le beau temps. 

Aujourd’hui, j’ai aéré prudemment le bateau pendant 2 ou 3 heures pour l’assécher. 

A 15h30, j’ai ma vacation téléphonique avec Vincent qui me donne ses informations à savoir du vent de sud de 12 à 25 noeuds selon les journées, au moins jusqu’à mercredi prochain et peut-être jusqu’au samedi. Il me conseille de continuer la route directe. Je l’écoute.

En soirée, le vent passe à l’ ouest à 20 noeuds avec une mer clapoteuse et houleuse désagréable au possible. A 23 heures, le vent déclare forfait à  zéro noeud dans une mer toujours aussi hachée. Je mets le moteur.
A 2 heures du matin, le vent revient sud-ouest à 12 noeuds. Je remets le GSE seul, remets  Georgette à la tache et vais me coucher. Le roulis est tel que je ne réussis pas à trouver une position qui me cale suffisamment pour dormir.
En tangonnant le GSE, le bateau serait plus stable mais je me refuse à manoeuvrer le tangon sur la plage avant en nocturne quand je suis seul . Alors tant pis, je roule bord sur bord.


                                          Le régulateur d'allure suit une direction par rapport au vent
                                                            et ici le vent s'est amusé .

Quand je vis des conditions plus difficiles, je pense souvent à tous les navigateurs solitaires qui ont construit les bases de cette navigation si particulière où, seul, le marin doit tout faire y compris manger et dormir. 
Le premier navigateur solitaire à effectuer le tour du monde fut Joshua Slocum sur son voilier        «  Spray »  ( embrun en anglais).  A la fin du XIX siècle, l’apparition de la vapeur tracassait cet Américain  d’origine canadienne, commandant au long cours. Il récupéra, dans un sale état, une vieille coque en bois de 11 mètres de long, âgée d’une centaine d’années et qui avait servi pour la pêche. 
Un ami charpentier de marine et Joshua abattirent deux gros arbres et remirent le bateau à neuf.
Puis il décida de partir seul pour un tour du monde malgré les nombreuses mises en garde. Il partit de Yarmouth sur la côte est des Etats Unis en juillet 1895 et après de multiples escales, réparations et mésaventures de toutes sortes, et après avoir franchi les trois caps ( le canal de Panama n’existait pas encore), il rejoignit  son  point départ trois ans plus tard. Ce mélange de génie et de folie avait montré la voie. 
Il a disparu en mer  à un âge avancé après avoir navigué de nombreuses  années sur «  Spray » passant l’été sur la côte est des USA et l’hiver aux Antilles (  il avait déjà tout compris, le bougre).



Dimanche 17 mai.

A 4 heures ( je suis toujours à l’heure antillaise), il fait jour. J’installe les voiles en ciseaux et tangonne le GSE. 

A 7h30, la pression est à 1015 et la température à 22 ° dans la cabine. 
Flores est à 896 miles
J’ai effectué 105 miles depuis hier.

A 9 heures, le vent passe sud, je suis grand largue, je range le tangon. Et je dois avouer que je suis fatigué et éprouvé depuis 3 ou 4 jours. Je n’arrête pas  de manoeuvrer jours et nuits sans avoir une heure de rang tranquille. L’instabilité du vent est étonnante. 




20 heures.

Je n’ai pas touché un bout ( un cordage quoi!) de la journée. Incroyable, rien n’a bougé depuis ce matin et j’ai bien avancé .  J’y crois tout juste. J’en ai profité par me reposer . 

A 23 heures, de ma bannette, j’entends un grain qui attaque subitement. Java  se vautre, remonte au vent en claquant des voiles. Ces situations sont dangereuses pour le matériel avec des risques de déchirure de voiles, de casse du gréement… et imposent d’agir vite sans précipitation.
Je me lève, revêts les cirés et sors dans le cockpit. Je réfléchis 10 secondes ,  ma lampe frontale activée et  le feu de pont éclairant surtout l’avant du bateau. Je commence par enrouler le plus possible  le GSE qui faseye . Déjà, c’est mieux. Je remplace Georgette par  Poupou ( réglages plus rapides) , remonte au vent à 30° environ. Ainsi, je peux enrouler mes voiles à ma guise. Je prends 3 ris dans la GV et autant dans le GSE puis retourne à mon cap au grand largue. Il vente 25-30 noeuds , il pleut dru. J’attends dans le cockpit à l’abri de la capote que le grain passe. Une demi-heure plus tard, les étoiles réapparaissent. Le vent reste assez fort  et je libère simplement un ris du GSE et hop au dodo.

Lundi 18 mai,

7h30. Pression 1016. Température 22°. Il fait beau. 
Je suis à 762 miles de Florès et ai effectué 134 miles depuis hier. 

A 4 heures, j’avais largué un ris du GSE et je viens de libérer tout le GSE mais  garde un ris dans la GV. 

18 heures. La journée a été magnifique, ensoleillée avec un vent constant en force et en direction,  de sud de 15 noeuds. La mer est agitée mais superbe avec ses crêtes blanches. Quelques petits dauphins se sont amusés une minute autour de Java avant de poursuivre leur chemin dans leur habituelle gaité sautillante et ondulante. J’étais bien,  en petite tenue,  calé dans le cockpit , abrité des embruns par la capote et du soleil par le bimini, les yeux flirtant avec cet espace maritime simple, dénudé mais tellement complexe et imprévu.

Tous les jours, des océanites tempêtes  volant un peu comme des chauves-souris  et des puffins  au vol planant m’accompagnent épisodiquement.

Aujourd’hui, j’ai découvert une nouvelle fonction sur le cadran de mon loch-sondeur ( situé sur la cloison au fond du cockpit) qui m’indique,  sur la première ligne en  haut la profondeur de l’eau sous la quille, sur la deuxième ligne au milieu la vitesse du bateau à la surface de la mer. Mais la troisième ligne du bas , écrite en petit, m’avait toujours échappé et pourtant, depuis plus de 4 ans , quand je navigue, je regarde cet écran de multiples fois dans la journée! Elle indique la température de l’eau de mer à savoir 21° en ce moment. Je « m’épate » de ma faculté de regarder sans voir. 
Je me souviens de la première fois où j’avais eu ce même ressenti. A l’époque, j’étais  en fac  et un matin, je découvre un magnifique petit oiseau multicolore,  mort,  dans la calandre de ma 2 CV. Je pensais qu’il avait dû s’échapper d’une cage tellement il était beau. Je le prends,   le montre pour l’identifier  à Yann Baol, étudiant en médecine , mais aussi ornithologue passionné. Le collègue me rit au nez en m’affirmant qu’il s’agissait d’un chardonneret élégant, oiseau très commun à la  campagne et même en ville , dès le printemps revenu! Je n’arrivais pas y croire  et pourtant le week-end suivant, j’avais dû me rendre à l’évidence en en voyant   des dizaines voleter  autour des chardons et en s’exprimant constamment avec des « telitt, telitt… ». J’étais sur le cul!  De ce jour là, j’ai souvent accompagné Yann Baol qui m’a permis de progresser rapidement dans la connaissance des oiseaux tout en m’apprenant à voir les choses quand j’ouvrais les yeux.
J’ai toujours été surpris de mon aptitude et de celle des autres aussi à ne pas  voir ce que nous regardions. Le regard ne se porte souvent que sur les éléments recherchés. Etonnant. L’ouïe n’est pas forcément mieux lotie, entre écouter et entendre… 

Mardi 19 mai,

7h30. Pression 1018. Température 22°.
Je suis à 623 miles de Florès et j’ai effectué 139 miles depuis hier.

Ce matin, entre 4 heures et 13 heures, une ligne active de grains a atteint Java à 5 ou 6 reprises obligeant chaque fois à une réduction temporaire mais rapide de la voilure. Le ciel était gris, triste et pluvieux par épisode.

A 16 heures, Vincent m’a donné quelques prévisions météorologiques plutôt satisfaisantes pour les jours à venir: vents de sud force 3 à 5 pour mercredi jeudi vendredi, passant sud-est ( un peu moins bien) vendredi soir et samedi, avant de virer nord-est force 2 dimanche (donc très faibles et en plein dans le nez mais normalement, l’arrivée devrait être proche). Je vais m’appliquer pour bien avancer d’ici dimanche.

Il est  16 heures 30, le soleil est revenu accompagné par un vent mollissant de sud sud-ouest de 10 noeuds et depuis 10 heures ce matin,  les voiles sont en ciseaux.

Je suis allongé dans le cockpit et je repense à l’histoire douloureuse des Antilles ( lue au travers de divers ouvrages).
Les Antilles, Grandes et Petites, furent occupées pendant des millénaires par diverses peuplades originaires de l’Amérique du Sud, notamment les Arawaks puis les Caraïbes qui résistèrent jusqu’au milieu du XVII ème siècle aux envahisseurs surtout espagnols, français et anglais. 
Il est partout noté que Christophe Colomb découvrit quasiment l’ensemble des Antilles en 3 voyages ( 1492, 1498, 1502). 
Selon le Larousse, Découvrir est « l’action de trouver ce qui existe mais n’était pas connu ». 
A mon avis, en réalité et d’une façon générale,  à  cette époque, tous les marins voyageurs qui, soit disant, découvraient de nouvelles terres, ne découvraient rien du tout puisque la plupart de ces contrées étaient déjà habitées donc connues et d’ailleurs nommées. Pourquoi cet abus de langage perdure t-il?  En réalité, il s’agissait de conquérir, d’envahir, de s’approprier , de piller, d’évangéliser   … coute que coute. 

Au XVI ème siècle, les deux nations dominantes en Europe , et catholiques aussi , étaient le Portugal et l’Espagne. Le Portugal prospectait vers l’est et l’Espagne vers l’ouest souvent sous prétexte de christianisation  mais la recherche de l’or , d’autres richesses et le pillage des diverses civilisations rencontrées n’avaient rien d’accessoire. Du fait de la rotondité de la Terre, un problème allait se poser lorsque les deux nations allaient se rejoindre. Pour éviter un conflit entre ces deux nations, le pape Alexandre VI s’est entremis pour aboutir à la signature  du traité de Tordesillas  en 1494. Il partageait le monde en deux ( sans tenir compte d’aucune  autre nation!), les terres découvertes à l’est du 50 ème méridien seront portugaises et celles à l’ouest  seront espagnoles. Elle n’était pas belle la vie?

Toutes les Antilles ( pour ne parler que d’elles) ont été envahies, conquises , violentées et occupées. Les populations autochtones ont été décimées volontairement avec pour le moins l’absolution de l’Eglise pour ne pas dire son appui. Il ne s’agissait donc pas de découvertes mais de conquêtes. Alors pourquoi encore tergiverser?  
De toute la population amérindienne des Antilles ne subsistent aujourd’hui que 3000 Indiens Caraïbes  ( en grande majorité croisés avec la race noire importée d’Afrique)  regroupés dans une réserve sur la côte au vent de la Dominique. 
Bien entendu, l’histoire ne se refera pas mais elle doit rester fidèle à la réalité des faits. 
S’il existe d’autres réalités que celles émises ci-dessus, je suis à l’écoute.

Mercredi 20 mai.

4 heures, il pleut . Tout est gris, tristounet, humide et ralenti. Le vent est au sud à 10 noeuds. J’ôte le tangon que j’avais gardé exceptionnellement cette nuit et déroule entièrement les voiles. Je suis grand largue. 

7h30, la pression est à 1019, la température de la cabine à 21° et celle de l’eau de mer à 20°.
Je suis à 504 miles de Florès. J’ai effectué 119 miles en 24 heures. 

Il a plu jusqu’à midi puis des nuages épais ont assombri l’atmosphère toute l’après midi. Le vent est passé sud-est et a forci progressivement pour atteindre 20- 22 noeuds en soirée . J’étais bon plein ( allure proche du près) sous GSE à 3 ris et GV à 3 ris ( j’ai essayé la trinquette qui était insuffisante).  En fin de journée, la mer, avec des vagues de 2-3 mètres, était assez chaotique et désordonnée. J’ai passé plus de 1 heure à régler mes voiles sans trouver un bon équilibre! Java n’avançait pas bien, il était comme ralenti, empâté et je ne comprenais pas. Il existait une divergence inhabituelle entre la vitesse loch et celle du GPS.  J’ai pensé à des saletés coincées dans l’hélice, les quilles ou le safran  et même à la baleine accrochée au bout de ma ligne. J’aurais dû marché à un noeud de plus . J’ai finalement pensé à un courant contraire…et me me suis couché un peu contrarié.

J’aime bien passer la moitié de mon  temps dans le cockpit à lire, rêver, regarder la mer et les quelques présences animales.  J’ai encore vu plusieurs fois des dauphins ce jour,  un souffle de cétacé et quelques oiseaux qui viennent me saluer. Le cockpit reste sec jusqu’à environ 15 noeuds de vent   ( un peu plus au vent arrière, un peu moins au près) et à ce moment là, il est très agréable de profiter de la « terrasse » sans la nécessité de porter un ciré et sans le risque de recevoir une éclaboussure ou une bonne giclée d’eau de mer.


                                                       
                                                              C'est un dauphin!
                                                      
Jeudi 21 mai.

La nuit a été peu reposante. Java tapait souvent,  au près par 20 noeuds de vent sud sud-ouest , dans une mer formée.

7h30. Florès est à 376 miles et j’ai effectué 128 miles depuis hier.
Le vent passe sud en mollissant un peu et surtout la mer se calme. La vie à bord redevient normale. Le ciel est clair, la mer bleue profond  est belle à regarder. L’horizon semble très loin et dégagé. 
Je n’ai toujours pas vu un seul voilier depuis mon départ de Marigot. 

Vers 11 heures, le vent, de même direction, est passé à 13 noeuds. Toute la voilure était de sortie sur une mer peu agitée et avec une gite modérée. A bord, tout devient possible, les muscles se détendent.
A la nuit tombante, j’ai pris deux ris dans la GV pour espérer une nuit tranquille.

Depuis des semaines, en navigation, je vois tous les jours des « petits êtres vivants » de surface mesurant de 5 à 30 cm environ et portant comme un voile ou un flotteur gonflé bleu pastel, pourpre ou rose.  
Ils sont si beaux qu’ils me donnent envie de les toucher.  En fait, il s’agit d’une espèce de méduse, la physalie dont les longs  tentacules  atteignant  4 mètres peuvent infliger des brûlures graves à leur contact.


                                                          Mignonne petite bête.

Vendredi 22 mai.

7h30. Pression atmosphérique en hausse à 1027. Température de la cabine à 21° et de l’eau de mer à 19°. Le soleil brille, quelques petits cumulus se promènent. La visibilité est excellente comme souvent .

Florès est à 243 miles et j’ai parcouru 133 miles depuis hier matin.
Je suis toujours au prés et suis toujours sur une route directe. J’espère que le vent ne remontera pas trop vers l’est sinon il me faudra tirer des bords. 
Ma progression a été bonne et régulière cette semaine ( 519 miles en 4 jours). J’envisage une arrivée sur Florès dimanche prochain si les conditions se maintiennent. Mais en mer, prévoir est délicat. 
 Depuis les Bermudes, je navigue sous influence du Gulf Stream qui permet de conserver des températures agréables , de continuer à voir quelques  poissons volants. L’air est moins sec qu’aux Caraïbes et le matin, le pont est recouvert d’humidité.

Aujourd’hui, la navigation est idéale: allure de près avec vents stables de 13 noeuds sur une mer peu agitée. J’entendais le sifflement doux, sonore  et permanent du vent dans les voiles, les vibrations positives de la coque et de la barre, l’écoulement régulier de l’eau sur la coque. Détendue et attentive, Georgette commandait la trajectoire tout en douceur. J’ai cru entendre Java ronronner de plaisir. 

15h30, j’appelle Vincent pour le point météorologique. Demain et après demain, le vent passe est à 10 noeuds et lundi il passe nord-est à 14-18 noeuds. Cette évolution logique ne m’arrange pas vraiment. Je devrai tirer des bords. 

Samedi 23 mai

7h30. Pression en hausse à 1029. Florès est à 125 miles et j’ai parcouru 118 miles depuis hier.
La mer est belle et il  fait beau. 

15h30. Peu à peu depuis ce matin le vent a faibli considérablement et est remonté progressivement vers l’est.  Je remonte au  vent de mon  mieux à toute petite vitesse. 
Depuis hier, je me sens totalement en vacances sur Java. L’horizon circulaire là-bas très très loin  délimite  la mer, inhabitée en apparence , plate ,  à peine ridée. Au dessus, comme une coupole immense , le ciel parsemé de nuages  protège mon petit chez-moi  perdu au milieu de l’océan. 
Me restant suffisamment de carburant, je pourrais rejoindre Florès, deux ou trois plus vite, au moteur. Mais je suis bien ici. J’ai mon lit, de quoi manger et boire avec  la mer à moi tout seul. Aucune tempête n’est annoncée. D’un côté, j’ai assez hâte d’arriver à bon port après 3 semaines de mer et l’autre, rien ne presse et entendre le bruit du moteur pendant 20 heures pour accélérer le dénouement ne m’enchante guère. 

Je lis un ouvrage maritime sur les Açores. L’archipel se compose de neuf îles , d’origine volcanique ( point culminant le Pico Alto à 2351 mètres sur l’île Pico)  d’une surface totale de 2335 km2 ( contre 1715 km2 pour la Guadeloupe) éparpillées sur 58 000 km2 d’océan ( 300 miles en longitude et 170 miles en latitude). Toutes les îles sont habitées pour un total de 250 000 habitants environ. 
Au début du XV ème siècle, le Portugal revendiqua et colonisa les Açores ( déjà connues par les Arabes dès le XII ème siècle et peut-être même par les Phéniciens au VI ème siècle avant J.C !), archipel inhabité et sans trace de présence humaine antérieure.  Les Portugais en nombre insuffisants furent rapidement rejoints par des Flamands, des Italiens, des Bretons ( décidément présents partout), des Irlandais, des Ecossais … Sans massacre d’indigènes et sans recours à l’esclavage, l’archipel a une histoire plutôt propre malgré les guerres et conflits habituels des siècles passés. 
L’économie a toujours été basée sur l’agriculture  ( céréales, fruits, vignes…)  et la pêche ( artisanale, au thon, à la baleine ), et depuis peu sur le tourisme. L’usine de Cais Do Pico sur l’île de Pico traitait environ trois cents carcasses de baleine par an jusqu’à sa fermeture en 1984!.

Je me dirige sur l’île de Florès située à ouest de l’archipel. Elle  mesure 17 km sur 14 km, abrite 4500 habitants et culmine  au Morro Alto à 903 mètres. Les paysages et panoramas seraient exceptionnels. 


17 heures, le soleil se couche ( je suis toujours à l’heure antillaise).
Je n’ai pratiquement rien vu de la journée et tout d’un coup , l’animation débarque.
Devant moi à 500 mètres environ, j’aperçois un souffle haut et dense qui se répète une dizaine de fois en 1/4 heure et j’entrevois parfois le cétacé qui dépasse de l’eau. Au même moment des petits dauphins viennent jouer devant l’étrave et une dizaine d’oiseaux se reposent à 100 mètres sur mon tribord.
Le vent est toujours aussi faible et pile poil dans le nez mais pour  l’instant, j’insiste à la voile. 


Dimanche 24 mai.

1h15. Le vent tombe à zéro noeud. Il fait assez frisquet ( 17-18° ?). J’enroule les voiles et mets en marche le moteur, cap au 103° direction Florès, Poupou est aux commandes. 

7h30. Le temps est nuageux, la pression à 1029.
Je suis à  50 miles de Florès. J’ai effectué 75 miles depuis hier dont 37 au moteur.

Le vent est plein est à moins de 10 noeuds et je décide de poursuivre au moteur pour arriver à destination avant la nuit et éviter de naviguer proche des côtes pendant la nuit prochaine ( Risque de se prendre du matériel de pêche dans l’hélice, risque de collision avec les pêcheurs locaux souvent mal éclairés, risque de traffic accru y compris autres voiliers … ). Tout seul, je ne peux pas me démultiplier et être partout à la fois alors tant pis pour le doux bruit de ronron puissant de la mécanique. 

J’ai relevé ma ligne ce matin. Elle avait été visitée puisque la moitié de mon bas de ligne manquait.    Je me refuse de mettre un fil résistant à plus de 10 kg pour éviter de pêcher du gros poisson dont je n’aurai pas l’utilisation.  Mais j’aurais aimé pêcher du plus petit …

8h30, j’aperçois mon premier voilier depuis mon départ de St Martin. Il remonte vers le nord sous voiles ( le vent vient juste de se ressaisir et souffle d’est à 10 noeuds environ). Alors  continue-je  à la voile ou au moteur? 

Finalement je continue au moteur et arrive vers 16 heures à Florès où j’ancre dans la baie de Faja Grande , mouillage le plus à l’ouest d’Europe. L’endroit est à couper le souffle. Des hautes falaises  vertes de plusieurs centaines de mètres  entrecoupées par de multiples cascades tombent presque jusqu’à la mer. Sur le petit plateau, au bas des falaises et sur les collines voisines, de multiples murets de pierre , très serrés abritent quelques cultures ou pâturages avec quelques troupeaux de vaches marrons.


                                            Amerrissage dans un super paysage.

Hier soir à la nuit tombée, je suis promené dans le petit bourg aux rues pavées et aux maisons très coquettes. Raja Grande est un cul de sac et la circulation automobile est très éparse. 

J’aurais donc mis 20 jours et demi pour rejoindre les Açores de Saint Martin dont 30 heures de navigation au moteur. J’en suis très satisfait.  Et j’adresse tous mes remerciements à Vincent qui m’a bien aidé dans le choix des trajectoires. 

Demain, je me rendrai à la marina de Porto Das Lajes pour effectuer la clearance, une fois de plus.


Lundi 25 mai,

Aujourd’hui,  c’est le demain de hier. 
12 heures, je viens d’accoster dans la minuscule  marina de Porto Das Lajes avec 30 places environ et 50 en se poussant très fort. Aujourd’hui nous sommes une douzaine de voiliers ( dont la moitié de bretons). Le vent est nord est. La houle s’amuse dans la petite baie et se contorsionne pour pénétrer dans la marina et chahuter les bateaux ( j’ai connu pire) . A mon avis, il s’agit d’une marina de beau temps. Trop tard, j’y suis pour quelques jours. 






                                                       Pauvre  Java tout seul au mouillage.





                                            Schéma de mon vagabondage aux Petites Antilles.

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