Dimanche 10 juin , 22 heures
Après un peu plus de 18 jours de navigation plutôt tranquille, nous sommes arrivés hier au port abri de Atuona à Hiva Oa dans un site absolument superbe déjà occupé par une petite vingtaine de voiliers de passage, de toutes nationalités ( 400 voiliers de passage sur l’année 2017).
Après avoir quitté le bateau, au hasard d’une rencontre avec un Québécois , j’ai dégoté une pension de famille de Marquisiens située au bout d’une vallée luxuriante à 2 kms du bourg, noyée dans une végétation luxuriante, au milieu des fleurs des fruitiers, des coqs, des chiens, des chèvres … La famille accueille jusqu’à 4 ou 5 pensionnaires. Jus de fruits … en brick ! et excellent pamplemousse …vraiment frais, en guise d’accueil. La famille est adorable et je peux aussi partager les repas si je veux .
En arrivant chez Simone .
Je suis déjà allé saluer Jacques Brel et à Paul Gauguin dans le cimetière qui domine la petite ville de 1200 habitants ( 2500 sur toute l’île) et toute la baie.
Cinq heures du matin, après une nuit de profond sommeil, je me réveille aux chants des coqs (ils sont endurants les bougres) et de quelques aboiements . Hier soir , j’ai partagé l’excellent repas avec un jeune instituteur de Futu Hiva et un météorologiste en mission sur l’île, tout en bavardant des conditions de vie sur ces îles un peu perdues, en dehors des grosses destinations touristiques.
Nous entrons dans la saison des pluies et les grosses averses se succèdent. Là, j’entends la pluie qui crépite fort sur les arbres et le toit de la maison.
Hier, je suis monté au vieux cimetière protestant , situé à distance de la ville, très haut sur la colline et atteint après une bonne demi-heure de marche. Le site entouré de montagnes et vallées luxuriantes est magnifique. Dans ce cimetière bien délabré se cachent deux tikis , un minuscule qui regarde la mer et un plus grand qui regarde la montagne. Et puis j’ai continué à grimper le long d’un petit sentier de terre, ombragé , bordé de multiples manguiers, cocotiers et divers autres fruitiers éparpillés.
Baie d'Atuona.
Cet après midi, nous avons été avec Simone de la maison de famille visiter le plus grand site archéologique de Hiva Oa et des Marquises, celui de Upeke dans la vallée de Taaoa, pour une bonne moitié recouverte à présent d’une végétation luxuriante. C’est un ensemble cérémonial et aussi un lieu de vie des anciens Marquisiens qui y vécurent très nombreux. Ici à Hiva Oa, la population actuelle est d’environ 2000 habitants contre 35 000 à l’arrivée des européens.
L’environnement est imposant et en bas du versant, le long du littoral croissent de nombreux pistachiers mais aussi des kapokiers, des caféiers, manguiers, des corossoliers et les mombins pas toujours exploités, sans oublier les mapes ( genre de gros châtaignier à la silhouette torturée), les banians, les puraus . D’autres variétés végétales avaient été plantées à l’époque: mei, bandoulière, érythrine, puatea, hutu, temanu, taro qui ont pris possession des ruines .
Lundi 11 juin,
Aujourd’hui balade en 4/4 à l’autre bout de l’île jusqu’à Puamau surtout par des pistes et c’est parti pour 84 kms. Les paysages montagneux, escarpés, sans plateaux, étaient époustouflants avec de splendides dégradés de verts et des vues plongeantes sur des baies au fond desquelles , derrière la plage , se cachait souvent un petit hameau noyé dans des cocoteraies et des bananeraies super entretenues. Une à deux pirogues à un balancier se reposaient en haut de la plage.
Magnifique village au fond de baies pommées.
A Puamau, nous avons visité le site archéologique de Lipona, témoignage laissé par la civilisation marquisienne pré-européenne sur lequel, trônent plusieurs tikis. A leur arrivée sur l’île pour convertir les marquisiens, les missions catholiques ont détruit les sexes masculins des tikis , interdit les tatouages, les danses et tout ce qui pouvait représenter la culture et les croyances marquisiennes.
Tiki au zizi coupé! Non, mais!
Les quelques villages lotis au fond des baies vivent d’élevage, de pêche et surtout de coprah dans un environnement de carte postale sans oublier bien sûr les moustiques et les nonos.
Les quelques villages lotis au fond des baies vivent d’élevage, de pêche et surtout de coprah dans un environnement de carte postale sans oublier bien sûr les moustiques et les nonos.
Sur l’île, les parcelles de cultures ou de pâturage sont rares. En fait, tout se passe dans les sous-bois où vivent les animaux sauvages bien sûr mais surtout domestiques, soit en enclos ( cochons, chèvres, volailles, porcs), soit sur herbage ( vaches, chevaux, moutons) soit en liberté ( surtout les volailles).
Sur cette côte sauvage au nord de l’île, je n’ai vu aucun voilier au mouillage dans les quelques magnifiques baies qui pourtant s’y prêtaient bien dans des bonnes conditions climatiques.
Mardi 12 juin,
Aujourd’hui, j’ai visité les musées de Gauguin et de Brel plantés côte à côte dans un décor verdoyant tout proche de la baie de Atuona. Les nombreux tableaux représentés ne sont que des copies bien entendu mais retracent toute la vie artistique et personnelle du peintre tandis qu’à l’extérieur, « sa maison du jouir » a été reproduite à l’identique au même endroit . Même le puit a été retrouvé. De son atelier à l’étage de sa maison , à l’aide d’une longue canne, il pouvait y tremper ses boissons pour les rafraîchir.
La " maison du jouir".
A 200 mètres plus bas, le musée de Brel est plus modeste mais plus haut pour caser son avion « Jojo » rénové. Ses chansons baignent cette visite un peu émouvante, puisqu’au fil de l’histoire de ses chansons et de ses films, je revis également mon existence. Le temps n’a pas oublié de s’écouler depuis que passaient les « Ne me quitte pas », « Amsterdam », « Madeleine » … dans les juke box des cafés de ma jeunesse étudiante. Sentir ressurgir ces souvenirs si loin de chez moi mais si proche de Brel fait bizarre.
"Jojo" rénové dans le musée Jacques Brel.
Brel était arrivé sur Hiva Oa avec son goélette en acier « Askoy » et il l’avait revendu rapidement . Askoy avait plusieurs fois de mains avant de s’échouer en Nouvelle Zélande et d’y rester planter. Voici quelques ans, il fut récupéré bien rouillé puis rapatrié en Belgique où il a été rénové en partie. Il doit être mis à l’eau dans l’année qui vient.
Pour la petite histoire , l’Askoy II est le voilier qui a emmené le chanteur belge Jacques Brel (mort en 1978 ) aux Marquises. Ce bateau a été construit en 1960 par l’architecte Hugo Van Kuyk, à lui qu’on doit notamment le plan des barges de débarquement utilisées en Normandie. En 1974, Van Kuyk vend l’Askoy à Brel qui, une fois arrivé aux Marquises, le revend à deux personnes, qui le cèdent à un Allemand qui se révèlera plus tard être un trafiquant de drogue. Saisi par les autorités à Fidji, un Néo-Zélandais le rachète, mais le perd, durant une tempête où il s’échoue sur un banc de sable, alors qu’il l’amenait dans son pays. Récupéré quelques années après, puis restauré durant trois ans, par des amis du chanteur, le bateau sera bientôt remis à flot, en Belgique sur le fleuve de l’Escaut, selon Peter Janssens, gérant de Nieuwe Scheldewerven à Rupelmonde, où le bateau est restauré.
Demain, je quitte Hiva Oa et la pension « chez Simone » où j’ai vécu une bride de vie extraordinaire dans une famille simple, modeste mais pétrie naturellement de qualités et d’attentions: vraiment un grand moment inoubliable.
Dimanche 17 juin, 20 heures,
Je me suis réveillé au son de la cacophonie de beaucoup de coqs qui chantent et un peu beaucoup des chiens qui aboient , comme d’habitude, ici en Polynésie. Les coqs sont partout, plus ou moins domestiques autour des maisons ou plutôt sauvages dans la campagne, sur les bords des routes … Ils sont partout , très très expressifs, très endurants, très entraînés. Concernant les chiens , c’est la même chose en pire puisqu’ils aboient toute la journée y compris la nuit. Ils sont aussi partout , domestiques attachés ou non , ou plus ou moins sauvages, le plus souvent boitants ( ils ne traversent pas toujours les routes sur les passages piétons). Ce sont des batards de taille moyenne ou assez grande, pouvant être agressifs ( « prends un bâton" est le conseil systématiquement donné par les locaux: ouai, rassurant) … En moyenne, chaque maison doit en posséder 3 ou 4. Et effectivement quand je me balade, j’ai toujours un beau bâton à la main! Un peu chiant tout de même puisque tu les rencontres partout y compris en pleine brousse. Ils sont vraiment pénibles même au niveau des endroits et divers magasins à visiter…
Superbe paysage luxuriant et montagneux.
A part les coqs et les chiens, c’est presque le silence, sans sensation d’être sous les tropiques dans la végétation luxuriante: les oiseaux sont assez discrets, les croassements nocturnes des petites grenouilles n’existent pas et on ne retrouve pas le bruit de fond très sonore des Antilles … , une seule fois, j’ai entendu des hululements ( de chouette ?).
Depuis mardi, j’ai passé une nuit à Papeete avant de gagner Moorea où je m’éjourne dans une petite pension un peu pommée dans un super décor campagnard. L’île montagneuse, couverte d’une épaisse végétation est entourée d’un lagon aux couleurs magnifiques. La plupart des 15 000 habitants se partagent la frange littorale surtout au nord, de chaque côtés des 2 grandes baies , sans véritable centre urbain. De plus en plus de gens viennent vivre sur Moorea tout en travaillant sur Tahiti .
J’ai effectué du snorkeling à l’ouest entre les deux motus de Tiahura et Fareone puis à l’est près de la plage de Temae où il existe de nombreuses patates de corail. Malheureusement, les coraux sont en très mauvais état et les poissons multicolores moins nombreux qu’ils ne devraient être. Ils ont bien du mal à se planquer et à se nourrir dans ce désert. Les patates sont blanchies en grande majorité avec des débris multiples de coraux sur le sable. Sincèrement, je n’ai eu aucun plaisir à regarder sous l’eau avec mon masque et mon tuba. Imaginez une forêt morte, grise à 90% avec quelques ilots verts mais maigrelets. Où est le plaisir de s’y promener?
Les deux motus de Tiahura et Fareone dans le fond.
Je me suis déplacé en stop ( marche plutôt bien) et ai effectué les 60 kms du tour de l’île. Les règles de circulation et celles du contrôle technique des véhicules sont un peu différentes de celles de la métropole. L’utilisation des ceintures de sécurité, le port des casques pour les deux roues sont aléatoires. Les bébés et enfants peuvent être sur les genoux ou dans les bras du conducteur da la voiture où coincés entre le pilote du scooter et son passager … Les plateformes des pick ups transportent de nombreux passagers. Sur les chaussées divaguent une ribambelle de chiens et de poules : sueurs froides garanties pour les deux roues.
Culture d'ananas au bas des montagnes.
Les gens sont plutôt sympathiques et certains vraiment très, très accueillants, très serviables tandis que d’autres s’en « contrefoutent » et ne te regardent même pas. C’est une autre façon de vivre, de voir les choses et la vie. Aujourd’hui, c’est aujourd’hui et demain on verra. Le système politique instable et corrompu n’arrange rien. L’agriculture semble en perte de vitesse. Ici sur Mooera, la culture d’ananas est bien connue mais a tendance à diminuer alors que les importations de poudre d’ananas venant d’Australie et d’ailleurs s’intensifient … A 200, 300, 400 euros le m2 de terrain constructible, on peut comprendre qu’il soit plus tentant et rentable de vendre la terre plutôt que de la cultiver!
Les eaux sont moins poissonneuses et la pêche devient plus difficile. Les poissons des lagons seraient assez pollués et leur consommation pas forcément conseillée.
La carte postale est belle , les bleus du lagon sont magnifiques mais ils ne reflètent pas forcément la vraie vie. Par contre, globalement, les propriétés , même modestes, sont propres et bien entretenues. Tous les branchages et feuilles sont régulièrement ratissés puis brûlés et dans le paysage, des fumées s’élèvent par ci par là. Il n’en est pas forcément autant des bords de routes et des nombreux cours d’eau et rivières qui se jettent dans les lagons. Mise à part les belles plages, les rivages ne sont pas non plus forcément toujours les plus propres.
La vie est très, très chère et il faut vraiment avoir les moyens pour venir passer sa retraite ou des vacances prolongées par ici. Presque tout est horriblement cher, les logements, les terrains à construire, la nourriture, les restaurants, les bars , les boissons ( je ne parle pas des vins!) , les transports… ( il est dit en moyenne 30% plus cher qu’en métropole mais bien plus pour les touristes qui ne connaissent pas le combines). L’argent file entre les doigts . Bien sûr, les locaux arrondissent un peu les angles en vivant local, dans la simplicité des habitations, dans le troc, l’entraide, le travail en douce, dans les produits locaux …
L’esprit d’entreprise semble peu développé mais dans un endroit où tu n’es pas à l’abri d’un cyclone ou d’un tsunami, où le système politique n’inspire pas confiance, tu as sans doute moins d’énergie pour envisager l’avenir et tu cultives plus la nonchalance et le fatalisme. Actuellement le tourisme n’est pas florissant et le nombre de visiteurs a diminué en quelques années expliquant des nombreuses fermetures d’établissements.
Entre un gouvernement autonomiste façon Flosse ( et actuellement de son ex-gendre Fritch) et celui indépendantiste façon Temaru le développement de la Polynésie Française a bien du mal à se trouver une ligne directrice. Le mot corruption revient souvent. La défiscalisation a entrainé la construction de gros complexes touristiques qui souvent fonctionnent mal et tombent en vrille. Les polynésiens attendent beaucoup du tourisme mais la destination est lointaine, chère en trajets, chère en séjour avec une qualité de prestations et d’activités qui ne suit pas toujours. Pour le prix affiché , le meilleur devrait être proposé. Cependant, tu trouves le pire et le meilleur, le pire parfois très cher et le meilleur parfois « presque bon marché ». Tout le monde pâtit de cette situation floue et instable qui semble bourrée de magouilles financières : les Polynésiens et les touristes.
La plupart d’une bonne cinquantaine des voiliers de passage sont mouillés dans le lagon entre la baie de Opunohu et Tiahura.
Tahiti en arrière plan vu de Temae.
Demain, je m’en vais sur Huahine.
Mardi 19 juin 2018,
Me voilà donc sur Huahine avec ses 6000 habitants est très belle vue d’avion avec son relief montagneux, sa luxuriance et son joli lagon bleu émeraude qui la chapeaute sur la moitié sud.
J'arrive "chez moi".
Ma pension est isolée, au bord du lagon proche d’un jardin de corail près de l’ancien hôtel Sofitel en ruine. Malheureusement les coraux souffreteux lui ressemblent un peu beaucoup avec ses beaux poissons un peu éparpillés donc quelques requins pointe noire
Ma pension est isolée, au bord du lagon proche d’un jardin de corail près de l’ancien hôtel Sofitel en ruine. Malheureusement les coraux souffreteux lui ressemblent un peu beaucoup avec ses beaux poissons un peu éparpillés donc quelques requins pointe noire
Belles couleurs du soir.
Aujourd’hui, j’ai effectué le tour de l’île et parcouru d’autres chemins sans issue (120 kms en scooter). Elle est magnifique tant côté mer que côté campagne. Elle semble encore un peu dans son jus avec des gens accueillants, te disant bonjour et vivant d’agriculture de pêche, de trocs, de petits boulots , avec un petit parfum de drogues …
Bateau de pêche professionnel.
Tout parait assez tranquille, assez peinard, serein mais en enlevant la couche superficielle, tu te rends vite compte que derrière cette façade existe la vraie vie bien moins réjouissante faite de rapports de force pouvant être très violents… Pas toujours facile sous les tropiques. Et pourtant comme cela, les gens sont très gentils, très serviables, très polis , très souriants , très … Et on te le répète, les gens sont très gentils … mais pourquoi donc tous ces faits divers qui semblent fort nombreux et loin d’être retrouvés dans les chiffres officiels .
Couleur lagon.
Bateau de pêche professionnel.
Tout parait assez tranquille, assez peinard, serein mais en enlevant la couche superficielle, tu te rends vite compte que derrière cette façade existe la vraie vie bien moins réjouissante faite de rapports de force pouvant être très violents… Pas toujours facile sous les tropiques. Et pourtant comme cela, les gens sont très gentils, très serviables, très polis , très souriants , très … Et on te le répète, les gens sont très gentils … mais pourquoi donc tous ces faits divers qui semblent fort nombreux et loin d’être retrouvés dans les chiffres officiels .
Couleur lagon.
Des « Chinois » auraient racheté la propriété de l’ancien Sofitel pour y construire une structure moderne avec 350 chambres dont 75 bungalows construits sur pilotis dans le lagon! Que du bon sens ! Et hop encore de la défiscalisation pour blanchir les plus riches assaisonnée de dessous de table bien gras … avec un gros risque de fermeture après quelques années lorsque toutes les aides auront été distribuées et que le citron aura été bien pressé ( les exemples sont nombreux: un de plus, un de moins ). Il sera alors temps de reconstruire à la place d’un autre hôtel en ruine. Ainsi va la roue qui tourne … au parfum de corruption directe et indirecte.
Etonnamment, autant toutes ces bizarreries font les choux gras de la presse, autant les locaux n’en parlent pas, probablement désabusés …
Pièges à poissons.
Pièges à poissons.
Jeudi 21 juin,
Je passe mon dernier jour dans ma super pension face à l’étroit lagon . La mer , forte ce jour, vient briser bruyamment sur la barrière de corail. Les embruns fusent, les feuilles des arbres s’agitent, l’aération de la maison est puissante par toutes les ouvertures possibles.
Une page se ferme. Demain, je regagne Tahiti. Samedi, je rentre en métropole après 10 semaines d’une belle expérience de navigation et de séjour en Polynésie Française.
Dans mes textes, apparaît souvent le mot « mais » qui vient régulièrement ternir des situations magnifiques. Il est difficile ou en tous cas, il m’est difficile de ne voir que le bon côté des choses, de ne pas se représenter la vraie vie même si le rêve doit en pâtir.
Guy et Gildas vous saluent bien des Marquises.