Traversée de Terceira sur l’Europe.
Le 7 juillet 2019.
Hier, j’ai fait les courses avec l’aide de Luis.
En soirée, j’ai mis le bateau en ordre de marche.
Ce matin, je me suis levé à 7 heures, effectué les derniers préparatifs. Je suis passé à la capitainerie pour régler mon séjour et les formalités. "Prochain port", me demande t-on ? - "Cork en Irlande", j’ai répondu.
Je retourne au bateau et je quitte le ponton peinard mais le capitaine du port m’interpelle lorsque je passe devant son bureau: « vous avez un contrôle d’immigration! ». Ben ouais je viens d’apprendre quelque chose: l’Irlande n’est pas dans l’espace Shengen!!! J’attends depuis plus d’une heure et toujours rien à l’horizon: le bon fonctionnaire vient de l’aéroport de Lajes à 15 minutes de route.
J’ai regardé la météo qui semble un peu mollassonne au départ puis semble plus imprécise . Enfin globalement ce n’est pas trop mal, à priori. Je verrai en pratique avec peut-être une dépression dans la dernière partie.
J’ai hésité à rester un peu sur les Açores et notamment sur Graciosa mais bon, on ne pas tout faire non plus… et j’ai décidé de remonter sans vraiment de destination bien précise.
Bon, plus de deux heures que j’attends au ponton d’attente ( porte bien son nom aujourd’hui). Enfin, le gugusse de l’immigration, bien bedonnant, arrive , se dirige vers moi: « votre passeport s’il vous plait » prononcé en bon français. - « Tenez, le voilà ». Après 11 secondes, il me le rends et me dit « Bon vent ». Je lui réponds « Merci ». Mais en fait merci de quoi, de m’avoir fait poireauter 2 heures et demi pour rien. Mais je me dis « qu’ils ont des ordres ».
12h30, je dégage rapidement au moteur et longe la côte sud de Terceira noyée par la brume dès les premières hauteurs ( comme souvent) jusqu’à la Ponta das Contentas avec son petit phare. Je la contourne, arrête le moteur , déroule toutes les voiles. Le vent est au sud 12-15 noeuds et mon cap à 47°donc grand large. J’avance à 5 noeuds sur cette mer peu agitée sous le soleil et la chaleur mais la campagne est toujours engluée dans la poisse.
Terceira: côte sud-est et ses collines noyées dans les nuages comme souvent.
La pointe sud-ouest l’Irlande est à 1069 miles. La pression atmosphérique à 2020 .
Le génois se dévente trop souvent et j’enroule ma grand-voile.
Le 8 juillet 2019.
Etant près des côtes, cette première nuit, je devrai veiller sérieusement et mettre le nez dehors tous les quarts d’heures environ.
Le début de nuit est étoilé puis vers les 3 heures du matin, le vent passe brutalement sud-ouest en forcissant à 20 bons noeuds. Je réduis mon génois jusqu’au deuxième point d’enroulement. Au loin sur bâbord, les éclairs illuminent sans arrêt l’horizon. La mer devient turbulente et je ferme la cabine avec les deux panneaux de descente.
A 4 heures, un cargo passe devant à 4 miles.
Vers 6 heures, le vent diminue nettement, je déroule le génois entièrement. Toute la nuit, les éclairs se sont amusés le long de la ligne de grains. Je n’ai reçu que quelques gouttes de pluie.
A 8 heures, le génois passe à contre ( je le détangonne), le vent est presque nul mais dans le grain, le vent a subitement changé de direction et je l’ai dans le nez!!! Je suis bâbord amure avec toutes les voiles dehors qui fasseyent.
9h30, le vent repasse au sud, faible . Je passe tribord amure sous génois entier tangonné.
Mais ça ballote: plus de vent. Je mets le moteur en marche pour retrouver du vent ( je sais que je suis juste à la bordure d’une zone déventée). Une demi-heure plus tard, le vent revient doucement et j’arrête le diesel.
12 heures, le vent forcit un peu. Des puffins cendrés s’amusent en vol plané autour de Java. Deux couches de nuages se partagent le ciel, la couche supérieure, dense semble statique, la couche inférieure transparente avance très vite en décalage avec sa voisine et me donne l’impression moi aussi de planer sur l’océan. Etrange sensation.
13h20 je me suis rapproché de 110 miles de Baltimore en 24 heures. Il me reste 959 miles.
15 heures. Je viens de traverser une ligne de grains actifs et le vent passe ouest nord-ouest !!! Je redétangonne le génois, redéroule la grand voile.
16 heures, le vent remonte nord-ouest puis nord nord ouest en forcissant. Je règle mes voiles pour une énième fois. Il veut franchement m’agacer ce jour. Je suis quasiment au près.
J’en profite pour mettre Georgette ( mon régulateur d’allure au boulot) au boulot. Elle est contente.
Beaucoup de physalis ( méduses merdiques mais belles et transparentes) dérivent sur la mer peu agitée. Les puffins s’amusent toujours.
Georgette, la régulatrice d'allure, est au taf.
Vers 20 heures, le vent forcit encore et j’enroule mon génois au deuxième point d’enroulement et j’enroule deux ris dans la grand voile. Georgette se régale. La mer est peu agitée. Le temps s’éclaircit, le soleil prépare son lit. Dans le cockpit, l’heure est à la rêverie , à l’errance … Le navigateur solitaire déguste ces moments hors du temps et du monde.
21 heures, finie la rêverie, le vent passe nord . Je réduis le génois et la grand voile. Le soleil va se coucher derrière les nuages. Je ressens une petite fraicheur nécessitant une petite polaire dehors.
En cette fin de journée, je suis fatigué à constamment changer de configuration de voilure avec ce vent qui ne sait pas ce qu’il veut tant en force qu’en direction. Faudra bien que ça s’arrête.
Mardi 9 juillet.
1 heure, le vent diminue et je déroule tout le génois.
5 heures, Georgette s’asphyxie par manque d’air. Je la remplace par le pilote électrique.
6h, le vent descend au nord ouest et regagne de la vigueur.
8 h, le vent faiblit! OH, monsieur le vent, c’est fini ce bordel! C’est quand que tu arrêtes de divaguer. Là franchement , tu m’emmerdes.
8h15 Pile poil devant moi à 50 mètres , Java se dirige sur une grosse bouée orange munie d’une antenne. J’ai du reprendre vite fait la barre pour l’éviter. Incroyable, c’est la seule bouée perdue à des dizaines et à des dizaines de miles d’océan. . Ca ne m’étonne pas que des gens gagnent au loto.
Malgré tout, cette nuit, j’ai dormi correctement par petites tranches de 1-2 heures.
9 heures, je change de stratégie , remets toutes mes voiles et remonte au travers. Je ne suis pas vraiment sur le bon cap mais avance bien mieux à 3-4 noeuds.
Un cargo passe derrière moi à 3 miles et un autre devant moi modifie sa trajectoire puis passe à 1.25 mile devant.
10 heures, une troupe d’une vingtaine dauphins s’agitent autour de Java sous la surveillance aérienne des puffins pour seulement une dizaine de minutes de spectacle. J’ai refusé de payer.
Entre temps, le vent a viré sud, 8-10 noeuds , je suis passé tribord amure sous génois tangonné.
Depuis ce matin, le ciel est gris et bas, la nuit menace.
12h, le temps devient poisseux puis il pleuviotera toute l’après midi.
13h20, je me suis rapproché de 97 miles de Baltimore en 24 heures. Il me reste 862 miles.
16 heures, sans raison, la mer devient un peu agitée, un peu désordonnée avec une houle assez courte de 2 mètres. Java roule puis tout rentre dans l’ordre au bout de 2 heures!
Vers 19 h, les pluies éparses s’arrêtent puis reprennent vers 23 heures pour toute la nuit sur une mer remuante à nouveau.
Mercredi 10 juillet.
1h50, le vent remonte ouest, faible. Je passe ma voilure bâbord amure, sous génois tangonné. Il pleuviote. Je lambine sérieusement à 2-3 noeuds. Mais bon j’avance.
Je me couche et me réveille à 6 heures. Tout va bien. Rien n’a changé. Le vent a forci un peu. J’avance à 3.5 noeuds sur un mer belle. Le ciel est dégagé.
13h20: je me suis rapproché de 98 miles en 24 heures. Soit 305 miles en 3 jours. Il me reste 764 miles. Je suis bien loin de mes records mais bon au vu des circonstances, je ne suis pas franchement mécontent. Même dans le tout petit temps, Java se remue le cul.
17 heures et ouais 17 heures et je n’ai touché à rien . Ca fait du bien. Il fait beau. Je ne suis pas dans la pétole. Un petit pétrel au cul blanc m’a accompagné quelques temps. La mer est peu agitée. Le baromètre est stable. Georgette est toujours au repos. Les batteries sont chargées à bloc avec mes 2 panneaux solaires. L’éolienne fait semblant de tourner.
18heures. Après avoir fraichit momentanément un peu jusqu’à 15 noeuds, le vent faiblit à nouveau
avec un temps qui se bouche. Il crachine à moitié.
21 heures. Je n’avais pas touché à la voilure depuis 2 heures du matin. Le vent est remonté un peu. Je détangonne le génois sans succès sur la vitesse. Je le retangonne une demi-heure plus tard pour être plus peinard pour la nuit.
La mer est devenue agitée un peu désordonnée. Dans la cabine, les mouvements du bateau sont pénibles. C’est chiant. Je me fais remuer et j’avance à peine.
Jeudi 11 juillet.
8 heures. La nuit a été désagréable avec ces mouvements saccadés qui rendent le repos difficile.
Le brouillard est épais et le restera jusqu’à midi. Je me croirais sur les bancs de Terre Neuve.
Les batteries sont pleines à 92%. Le baromètre est stable. Il fait 23° dans la cabine.
12 heures, le temps se dégage, le vent remonte de 20 degrés et forcit à 15 noeuds et je détangonne le génois et établis aussi la grand voile en entier. J’avance enfin correctement à plus de 5,5-6 noeuds. Evidemment, ça ne dure pas. Il reperd 20 degrés, mollit un chouia et je retangonne le génois que j’enroule un peu pour qu’il soit moins déventé par la grand voile. C’est globalement satisfaisant. Les batteries sont déjà pleines.
Depuis hier, je réfléchis pas mal sur la destination: Irlande comme prévu ou bien, les Scilly, ou bien La Bretagne ou bien l’Espagne du Nord . Tout est possible selon le vent. Je n’élimine aucune option. En mer, c’est toujours comme ça, je cogite pas mal sur tout et rien avec le curseur du bien être qui peut passer de 2 à 18 plusieurs fois par jour.
Une cible de bateau apparait sur l’écran de mon GPS: pas vu ni entendu d’autres depuis 40 heures. C’est assez désert par ici.
13h20 Je me suis rapproché de Baltimore de 93 miles en 24 heures et de 398 miles depuis le départ. Ca ne va pas très vite mais je suis sur la route, le vent portant est mollasson et les conditions sont très correctes même si j’ai passé pas mal de temps au réglage de la voilure et des voiles. J’arrête à présent de décrire tous ces modifications mais les conditions sont telles: petit vent assez changeant qui donne pas mal de boulot.
18h Depuis une heure la brume est retombée avec des bancs plus ou moins denses, vraiment comme dans les environs de Saint Pierre et Miquelon. La mer est belle et cet après midi, j’ai fait le ménage et dégagé la cabine arrière pour au cas échéant me servir de bannette en fonction du temps.
Cet après-midi, j’ai vu quelques puffins, et au loin , furtivement, 2 grosses masses sombres provoquant un grand remous ( certainement deux grands cétacés).
Vendredi 12 juillet,
8 heures. Depuis hier soir, le vent est passé travers et a forci progressivement jusqu’à 20 noeuds nécessitant encore plusieurs réglages de voile cette nuit et même le remplacement du génois par la trinquette. J’ai remis Georgette au travail. J’ai dormi par brides de 1 heures environ.
Le baromètre est stable. La cabine est à 21°. Les batteries pleines à 96%. Le temps est tristounet , plus ou moins humide, plus ou moins brumeux.
Ce qui était prévu arrive à savoir le passage du vent au nord nord est en faiblissant et sans doute pour plusieurs jours.
L’allure du près bâbord amure est sans doute de sortie pour plusieurs jours. Je remets Georgette au chômage. Au près pas trop serré , les 7-8 noeuds de vent suffisent pour faire avancer Java à 4 noeuds: pas de risque d’excès de vitesse ces temps-ci. La gite est très modérée. La mer est plate, je me croirais presqu’à la maison.Mon cap est à 80° environ.
Baltimore en Irlande est à 571 miles au cap 51°
Les Scilly sont à 626 miles au cap 64°
Sein est à 652 miles au cap 76°
Noirmoutier est à 742 miles au cap 81°
La Corogne en Galice est à 510 miles au cap 104°
Il est vraisemblable que l’Irlande et les Scilly seront pour une prochaine fois.
Pour le reste, je ne néglige rien. Le vent décidera.
Deux cargos passent à trois quatre miles.
13h20 Baltimore à 554 miles. Je me suis rapproché de 118 miles de Baltimore ces dernières 24 heures soit 516 miles en 5 jours. Le vent passe est, bien pour La Corogne!
15 heures. Le vent n’arrête pas de changer, il est sud-est et je me retrouve au cap 120!!! la direction de Porto!!! Pour un peu, je retournerai pour Terceira. Ca ne va franchement pas.
Je vire donc de bord pour me retrouver au près tribord amure.
17 heures. Le temps se bouche à nouveau . Le vent forcit 20 à noeuds, ça tape.
Samedi 13 juillet,
6h00 Ca y est, c’est le matin, il fait grand jour. Le baromètre est stable plutôt en hausse. 20° dans la cabine et quelques degrés de moins dehors. C’est nuageux mais pas poisseux. Ca change.
Cette nuit, la voilure était réduite: trinquette et une demi grand voile. J’ai pu me reposer, calé dans ma bannette bâbord, bien au chaud, bien au sec.
7heures, le vent mollit et je remets de la voilure et Georgette est toujours au commande.
8heures. Le pain restant est moisi et passe par dessus bord. Je sors les biscottes!
Ma position est au 46°02 Nord, 18°18 Ouest. Je suis toujours sur le cap du sud ouest de l’Irlande.
On me demande parfois : « mais si tu tombes malade en mer… » . Ben ouais, mais je n’y pense pas et après tout, on meurt aussi dans les hôpitaux et sur les routes. Passons à autre chose sinon, on ne ferait rien. Jérome Janichon écrivait que « le risque zéro était le cancer du monde moderne ». De toute façon, tu meurs même en ne faisant rien, alors … Non, il faut minimiser les risques tout en s’octroyant des espaces de plaisir. Et chacun met le curseur selon ses prérogatives.
En mer, il faut se reposer le mieux possible dès que c’est possible jour et nuit.
En mer, il faut manger le mieux possible. Je prends toujours un super bon petit déjeuner puis un repas chaud le midi ou le soir et en plus je grignote des fruits frais ou secs, des petites gâteries, du fromage…
Salade fraicheur après quelques jours de mer.
Et puis le confort en mer, c’est d’avoir chaud et d’être au sec. A de rares exceptions et encore, l’intérieur de Java est toujours sec: les hublots, panneaux de panneaux … sont bien étanches et fermés. Je ne rentre jamais avec des habits mouillés, je les mets sous la capote. Je mets toujours les habits d’extérieurs stockés sous la capote. Je deviens maniaque. C’est du taf mais quel plaisir d’être au sec , d’avoir un lit sec et non salé. Pour moi, c’est primordial. Et avec des équipages, c’est très difficile à obtenir.
13h20 Baltimore à 459 miles. Je m’en suis rapproché de 95 miles en 24 heures soit 611 miles en 6 jours.
18 heures . Globalement le vent est sud-est faible avec quelques variations de force et de direction.
Le baromètre est stable. Le temps est nuageux, sec et plus frais. La visibilité est bonne.
Je viens de voir un probable globicéphale à 300 mètres environ.
Normalement, il était prévu une dépression en fin de semaine et je prépare le bateau à un éventuel coup de vent. Je me fie au baromètre, aux nuages et à l’évolution de la direction du vent pour essayer de comprendre le système météo où je suis. Et pour l’instant, je suis au sud-est de l’anticlyclone. Mais je ne peux pas deviner son évolution.
J’hésite sur ma destination et me dirigerais bien sur la pointe de Bretagne mais je crains m’engluer dans le centre de la haute pression. Donc je continue toujours sur Baltimore et on verra.
Dimanche 14 juillet.
8 heures. Aujourd’hui, je fais péter toutes mes fusées. Non, je rigole. La nuit a été peinarde, au près bon plein, tribord amure .
9 heures . Le vent est « de travers » à 6-10 noeuds.
12heures. Hier j’avais terminé le pain encore comestible et balancé le moisi.
Aujourd'hui j’ai terminé la salade verte. La tétragone a supporté 8 jours ( pas mal).
13h20 Baltimore à 354 miles d’où je me suis rapproché de 105 miles en 24 heures, soit 716 miles en 7 jours.
Le vent est parti au sud, toujours très faiblard. Le temps est nuageux et il fait presque chaud ( 25° dans la cabine). Je suis grand largue-vent arrière, une allure pénible où le bateau roule et où les voiles ont du mal à être efficaces ( sauf le spj que j'hésite à hisser en haute mer, quand je suis seul). Je me suis amusé par contre à divers réglages de voilure et il s’est avéré que grand voile et génois tangonné de la 1/2 au 2/3 s’avéraient le montage le plus efficace et le plus confortable.
Je me traine, je me traine à 2-3 noeuds et ainsi jusqu’à au moins minuit. Le temps a été nuageux.
Lundi 15 juillet.
1 heure, le vent est passé au sud ouest à 10-12 noeuds et je suis presque vent arrière sous génois tangonné.
Je suis en pleine réflexion sur ma destination. Depuis les Açores, je me suis faufilé entre un anticyclone à l’est et une dépression à l’ouest et j'ai bénéficié de ce vent changeant et faiblard, globalement de sud. Je ne pouvais pas obliquer trop tôt sur la Bretagne au risque de me trouver dans la pétole au milieu de l’anticyclone. Le baromètre est toujours stable et je suis donc dans la partie nord-ouest de cet anticyclone et j’ai maintenant plusieurs possibilités. Soit continuer sur Baltimore avec le risque de me ramasser un coup de vent sur la tronche en y arrivant, soit obliquer sur les Scilly avec le même risque un peu atténué, soit obliquer encore plus nettement plein est sur sur la Pointe bretonne.
Et puis, ça fait tellement longtemps que je n’ai pas navigué en Bretagne pendant l’été où je pourrais en profiter avec mes proches.
Vers 4 heures du matin, je mets Java plein est sur la Bretagne, enfin soulagé d’avoir enfin choisi une option. Au moins, c’est fait.
Cap sur la bretagne (Java est la petite flèche noire).
Je rentre un way point au sud de Guilvinec dont 436 miles m’en séparent. Je suis vent arrière pile poil avec mon génois tangonné. Et puis j’ai écouté de la musique bretonne à donf, non mais …
9 heures. Le beau temps ensoleillé s’installe ( 1 ème fois depuis mon départ). Le baromètre est stable. La température de la cabine est à 20 degrés. L’allure n’est pas confortable sur cette mer agitée avec des vagues de 2 mètres.
11 heures. Le vent passe nord ouest 15 noeuds. Je remets en place mon génois tangonné à la moitié sur tribord avec ma toute ma grand voile et enfin j’avance à plus de 6 noeuds ( ça faisait longtemps!).
12 heures. J’avance bien et je passe prés d’un navire de 90 mètres , le « James Cook » à manoeuvrabilité réduite à l’AIS, probablement un bateau d’étude anglais.
13h20. Je suis à 272 miles de Baltimore et 390 miles du Guilvinec. Je me suis rapproché de 82 miles de Baltimore ( valeur faussée évidemment puisque je suis sur la route du Finistère) soit 798 miles depuis 8 jours.
17 heures. Le temps est toujours ensoleillé. Le vent toujours nord-ouest mollit un petit peu mais pas trop. La houle de 2 mètres environ est longue avec des vagues de même sens de 2 mètres aussi et Java roule en proportion
J’espère surtout ne pas tomber dans une grosse molle ( zone sans vent).
Je ne me suis pas bien reposé la nuit passée et je passe ma journée à multiplier les petites siestes.
19 heures. Le vérin de mon pilote électrique principal déclare forfait! C’est le moteur qui a dû lâcher. Je l’avais changé il y a 3 ans. Il aura fonctionné pendant environ 5000-6000 miles. C’est encore 150 euros pour le remplacer. Je mets Georgette au taf mais elle est complètement bourrée: pas assez de vent pour qu’elle fonctionne. Je sors donc mon petit pilote de secours qui fonctionne bien mais n’a pas la puissance, ni la rapidité ni l’endurance de l’autre. De plus, il n’aime pas la mer trop formée. En attendant, c’est lui qui bosse. Sans pilote, la navigation en solitaire devient vite une galère.
Je viens d’apercevoir un voilier sur tribord, assez loin, à 3-4 miles environ. Je ne le vois pas à l’écran. C’est le premier que je vois depuis mon départes Açores.
Coucher de soleil à l'ouest: j'attends le rayon vert.
A l'est, la lune se lève au même moment.
22 heures. Cette nuit, la pleine lune m’accompagne avec les étoiles en demi-teinte. Le vent est stable , toujours de nord-ouest mais faiblard, très bien pour mon petit pilote mais je me traine.
Mardi 16 juillet
Bon anniversaire Adrien.
8 heures. Vent toujours de nord-ouest mais quasiment nul.
Je mets le moteur pendant deux heures. Je l’arrête. Il m’agace. Faire du moteur en pleine mer sur un voilier, ça me chiffonne.
10h15. Je mets le spi. Je n’ai pas pu m’empêcher. Il ne gonfle même pas. C’est la pétrole même si la surface de la mer est encore un peu irisée.
10h45. Il fait super beau avec une superbe visibilité. La mer est vide de tout: pas d’oiseaux, pas de poissons, pas de bateaux … Rien.
Je ramasse mon spi dans sa chaussette et le mets en attente. ET … je remets le moteur 2 heures avant de toucher un semblant de vent et je remets le spi. Il se gonfle tout juste mais il le fait.
Sous spi: au moins j'avance ... un peu.
13h20 Je suis à 281 miles du Guilvinec (et 220 des scilly et de Baltimore). Je me suis rapproché tout de même de 110 miles en 24 heures.
Cet après midi, le temps est magnifique et une douche ira avec moi, et j’irai me sécher comme les cormorans à la proue de Java.
21 heures. La journée a été magnifiquement belle avec juste des petits trains de nuages de beau temps qui décorent le ciel. Le spi m’a tout de même permis d’avancer. Pour la nuit, je le rentre et remets ma GV et mon génois tangonné. Aujourd’hui, je n’ai même pas entendu tourner l’éolienne ( pas assez de vent).
Mercredi 17 juillet.
0h50. Je me réveille. Je suis sous fausse amure et je passe ma voilure de bâbord à tribord amure et j’abats de 15° pour le confort.
3 heures. Merde, je viens d’empanner ( pas de risque avec mon frein de bôme super efficace).
5 heures. Le vent portant n’arrête pas de bouger de quelques 25-30° , suffisamment pour m’agacer. Tans pis, je tente les voiles en ciseaux. Ca fonctionne. J’ai dû voir 3 cargos cette nuit.
Voiles en ciseaux possible grâce à mon petit pilote précis.
8 heures. Baromètre stable. 20° dans la cabine, ciel nuageux.
J’ai préparé mes tartines grillées beurrées avec des rondelles de concombre et d’échalote. Tout est près, devant moi sur la table à carte. Et merde encore les voiles qui fasseyent! Le vent est passé ouest sud-ouest à 15 noeuds. Des vagues courtes de deux mètres se sont levées et le petit pilote vient de décrocher ( trop dur pour lui). Je mets Georgette au boulot. Elle est encore un peu bourrée ce matin mais bon au moins j’avance plus ou moins dans le cap.
Je retourne au petit déjeuner. A peine assis, j’entends des bruits bizarres à l’extérieur. Je jette un coup d’oeil par un hublot et je vois comme un banc de plusieurs centaines petits poissons "voler" au dessus des flots!? J'hallucine ou quoi! Le temps de prendre mon appareil photo et de sortir dans le cockpit, « le nuage poissonneux a disparu ». Je retourne à la table à carte et rebelote, à peine assis encore des bruits bizarres se font entendre mais différents cette fois-ci. Je ressors et là je vois des dizaines de cétacés genre globicépahales converger de tout bord vers Java. Ils font un peu comme les petits dauphins mais sans sauter hors de l’eau. Ils suivent le bateau, sortent hors de l’eau seul ou en groupe. Ils font réellement le spectacle pendant une bonne heure et quel spectacle ! Quelques fous de Bassan ( les premiers que je vois depuis ma remontée) vient faire les curieux.
"Troupeaux" de Globicéphale.
A portée de la main.
Belle bête de 5 à 6.50 mètres de long pour un poids entre 1.8 et plus de 3 tonnes. Espérance de vie: 50 ans.
10 heures et je n’ai toujours pas mangé. Je retourne à la table à carte. Le pain grillé a eu le temps de bien se refroidir. Je jette en même temps un coup d’oeil sur le GPS, clique sur la cible qui est apparue: « Bara Loden du Guilvinec en pêche ». Aucun doute, la Bretagne approche.
13h20. je me suis rapproché de 91 miles du Guilvinec en 24 heures.
Les conditions sont idéales. Java avance bien, glisse à la surface de l’eau sans heurt, avec quelques vibrations de plaisir dans les accélérations, avec le bruit fluide de déferlement des vagues sur la coque. Tout est tranquille mais dynamique. La cabine est chaude et chaleureuse.
17 heures. Le vent a forci un peu. J’ai réduit la grand voile. Le temps est devenu un peu brumeux avec une visibilité réduite. J’ai vu plusieurs cibles cet après midi sur le GPS dont quelques bateaux de pêche. La civilisation approche. Les deux nuits qui me restent seront plus vigilantes et en conséquence plus fatigantes. Mais ça va, je me repose aussi dans la journée.
19 heures. Les bancs de Terre Neuve sont de retour. Il bruine , la visibilité est exécrable et la mer est formée et désagréable.
Le vent devient trop faible pour Georgette et j’essaie le pilote de secours dans cette mer remuante. Il fonctionne correctement tant que Java ne reçoit pas de vagues sur le côté sinon, il se bloque.
22heures. Il pleuviotte vraiment. Le vent a fraichi à 15-20 noeuds et je remets Georgette au taf. La mer est vraiment crado et Java se fait balloter. Le vent s’amuse monte, descends!
23 heures. « Tout déconne ». Georgette fait la gueule et le pilote décroche dans cette mer hachée qui vient de je ne sais où! Pas normal de se faire remuer autant avec aussi peu de vent!? Et à peine 3 noeuds de vitesse.
Jeudi 18 juillet
0 heures. La pluie s’arrête. Le vent presque. Deux bateaux de pêche à 2 miles au vent, près du haut fond du castor ( est-ce lui, le responsable de cette mer chahutée?). Pêcheurs, quel boulot!
4 heures. Je n’avance plus, je mets le moteur au « doux ronron ». La visibilité est devenue correcte. Heureusement puisque je me trouve sur la route des bateaux qui vont au rail d’Ouessant ou qui en viennent.
Traffic: presque comme le rail d'Ouessant ( Java est la flèche noire au centre de l'écran).
Plusieurs tankers ou cargos doivent modifier leur route pour me laisser passer. Certains le font tôt, d’autres au dernier moment. A un moment donné, un des capitaines des bateaux est intervenu à la VHF: « je demande à tous les bateaux proches de ne pas modifier ni leur cap, ni leur vitesse ». Un me passe à 1,35 mile devant , un autre à 1.50 mile derrrière, un autre à 0,65 mile sur le côté, dont un tanker de 328 mètres de long, un autre de 243 mètres …
Le traffic est intense et le restera jusqu’à 11 heures: 12 cibles sur mon écran dans un rayon de moins de 10 miles en ce moment. Ca occupe sérieusement. Enfin, vers les 13 heures, un dernier gros cargo est passé à 0.5 mile en modifiant sa route à 3 minutes de notre croisement!
Promithéas, tanker de 250 mètres.
City of Oslo, transporteur de bagnoles de 140 mètres de long.
Nordic Luebeck, cargo de 150 mètres.
13 heures. Une houle de 2 mètres d’ouest s’est levée. Vers 15 heures, le vent est revenu, pile poil vent arrière. Je mets les voiles en ciseaux et stoppe le moteur.
17 heures. La houle a disparu. Une bande de fous de Bassan pêchent en plongeant de très haut, quelques goélands sont posés sur la mer, des paquets de laminaires marrons flottent de ci de là mais les physalis ont disparu depuis quelques temps ( leurs tentacules peuvent atteindre 50 mètres!!!)…
Au loin, sur bâbord, un voilier apparait, le deuxième depuis les côtes des Açores. Deux ou trois petits dauphins passent furtivement.
Depuis ce matin, j’ai multiplié les petits sommes sans vraiment dormir et la nuit prochaine ( la dernière) sera encore très occupée si proche de la côte.
Dernier coucher de soleil de la traversée: bof!
23 heures. J’ai vu plusieurs bateaux de pêche . Une bande plusieurs dizaines de dauphins m’a accompagné pendant plusieurs heures, même la nuit. Le vent est bien, la nuit belle et étoilée. On n’entend que le bruissement de la mer sur la coque.
Ca sent sérieusement la Bretagne. Je vois les éclats du grand phare de l’île de Sein, de la tour de la vielle, les lumières rouges des éoliennes sur la terre . Le traffic des divers bateaux est devenu intense.
Vendredi 19 juillet.
Bon anniversaire Audrey.
6 heures. Finalement la nuit est passée assez rapidement mais quasiment sans sommeil, à zigzaguer entre les bateaux de pêche.
Pointe de Penmarc’h: les Bigoudens pêchent dur.
Phare d’Eckmuhl: les derniers éclats de la nuit.
Vers les midi, après 12 jours de mer, j’arrive tranquillement dans la baie de Concarneau après être passé entre l’île des moutons et les Glénan. Je me dirige vers le mouillage devant la plage du Cap Coz pour attendre la pleine mer et pouvoir remonter l’anse de Penfoulic jusqu’au poste d’amarrage du même nom. J'ai parcouru réellement environ 1400 miles.
L'île aux moutons avec son phare: le bout du voyage approche.
Gildas.