Déconfinement à l’île de Sein.
Samedi 17 mai.
A la marée du soir, j’"évacue" Java du mouillage de Penfoulic , pour la marina de Port La Forêt. Je « déconfine » du coronavirus un peu en avance, par dérogation préfectorale concernant les embarcations qui seraient bloquées par un marnage trop faible les jours suivants: presqu’une impression de filouter, presque l’impression du début de la fin de quelque chose avec la vraie vie qui rebourgeonne. Java n'avait pas bougé depuis 7 mois ! Du jamais vu.
Mercredi 20 mai.
Six heures du matin, la clarté s’impose peu à peu, le fond de l’air est frais, le vent faible mais le ciel bien dégagé. Je quitte le ponton de Port La Forêt pour l’île de Sein avec une sensation bizarre de retrouver l’air marin , un peu de mer, un peu d’espace perdu, une certaine liberté d’action. Je suis à peine sorti de la passe de Port La Foret que des petits dauphins viennent à ma rencontre en bondissant comme des fous, sans doute heureux de revoir quelques bateaux. Vers 9 heures, après 3 heures de moteur pour faute de vent, après avoir virer " Spineg » au sud du Guilvinec, je hisse les voiles, GSE et GV dans un vent de 12-14 noeuds, au portant avec une vitesse de 5 noeuds sur une mer belle et dégagée. Un soleil généreux. nous réchauffait. Que de demander de plus?
La pointe de Penmarc'h avec le phare d 'Eckmühl inauguré en 1897, haut de 60 mètres ( pas très breton comme nom et provenant du titre de noblesse d'une généreuse donatrice!).
La pointe de Penmarc'h avec le phare d 'Eckmühl inauguré en 1897, haut de 60 mètres ( pas très breton comme nom et provenant du titre de noblesse d'une généreuse donatrice!).
A 16 heures, après avoir remonté toute la baie d’Audierne et passé le raz de Sein tout sage à l’étale de haute mer, je suis près de la bouée verte de Kornoc et je m’apprête à effectuer quelques coups de pêche avec ma ligne. Normalement c’est un pêche garantie … sauf qu’évidemment ( ou pas) , le fil s’entremêle dans le moulinet et une fois encore, je suis bredouille.
A gauche, La Plate, jaune barré de noire, puis le phare de La Vieille ( 27 mètres de hauteur et premier allumage en 1887) sur son rocher de 10 mètres de haut) et le sémaphore à droite sur la falaise de la Pointe du Raz. Entre les deux, la baie des trépassés haut lieu de la lutte antinucléaire de Plogoff....
Je suis proche de l'île de Sein qui apparait au milieu de la photo: pas bien haute la tigresse, 1.5 mètre d'altitude moyenne seulement mais quel tempérament.
Allez hop, au port. A 16h30, j’ancre discrètement tout au fond, au calme sous la surveillance de centaines de goélands en vigie sur les immenses jetées défensives Est du port. Je suis bien, loin de la foule, confiné volontaire sans le savoir. Trois ans que je n’y étais pas revenu sur ce caillou.
A gauche, La Plate, jaune barré de noire, puis le phare de La Vieille ( 27 mètres de hauteur et premier allumage en 1887) sur son rocher de 10 mètres de haut) et le sémaphore à droite sur la falaise de la Pointe du Raz. Entre les deux, la baie des trépassés haut lieu de la lutte antinucléaire de Plogoff....
Je suis proche de l'île de Sein qui apparait au milieu de la photo: pas bien haute la tigresse, 1.5 mètre d'altitude moyenne seulement mais quel tempérament.
Allez hop, au port. A 16h30, j’ancre discrètement tout au fond, au calme sous la surveillance de centaines de goélands en vigie sur les immenses jetées défensives Est du port. Je suis bien, loin de la foule, confiné volontaire sans le savoir. Trois ans que je n’y étais pas revenu sur ce caillou.
Jeudi 21 mai.
J’ai presque l’impression de ne pas avoir encore « déconfiner ». Pas de bruit artificiel: juste le souffle permanent, parfois envahissant de la mer, juste les cris des multiples oiseaux de mer, juste le petit sifflement du vent du nord dans le gréement du voilier à l’échouage au fond de l’abri, près de la plage et des multiples grosses et petites roches qui tapissent la presque totalité du pourtour du port. Seul voilier ( sauf un petit local), Java se sent presque un peu seul planqué derrière une trentaine de « pêche-promenades » et de multiples bouées de corps morts désertes.
Peinard.
La mer est bientôt basse et Java sera complètement au sec me permettant de vérifier que l’hélice est claire et qu’il ne reste plus rien du petit bout ( cordage) qui s’y était engagé.
Après avoir éliminé le magma d’algues autour de l’hélice et de son arbre ( pas de cordage, le coupe-orin avait fait son boulot), j’ai pris mon seau bleu, une grande cuillère et suis parti à la pêche à pied et hop quelques crevettes, un dormeur de 17 cm et une étrille de 8 cm. Tout cela ira bien avec moi pour le déjeuner.
L’après-midi, je suis descendu à terre avec mon annexe à roulettes pour faire le tour de la partie habitée. Les maisons sont toujours là sans grosse modification globale, même les couleurs restent les mêmes, les mêmes jardins restent entretenus ou pas, les mêmes maisons restent fleuries ou pas… Tout cela a un aspect un peu figé qui fait du bien dans notre monde précipité.
Que faire d'autre que d'admirer?
Que faire d'autre que d'admirer?
J’ai peu de contact humain ici mais je m’y sens bien dans cette nature brute capable de tout aux commandes d'un énorme curseur allant du pire au meilleur et du meilleur au pire selon son humeur. Beaucoup de choses ont été dites, écrites, répétées sur ce petit bout de terre ridiculement bas sur pattes , au bout du Finistère: beaucoup de sottises parfois mais aussi beaucoup de réalités, beaucoup de perceptions, beaucoup de sensations, beaucoup d’amour, beaucoup de souvenirs, beaucoup de regrets, beaucoup de joie, beaucoup de souffrance… Rien d’étonnant, tant l’originalité est forte et le lieu improbable. Si on aime, on s’y imprègne. Sinon, on y revient pas.
A l'ouest de l'île, amers naturels et artificiels se côtoient sobrement .
A l'ouest de l'île, amers naturels et artificiels se côtoient sobrement .
Saint Corentin, une minuscule chapelle à taille humaine, discrète, pommée et mignonnette .
Lundi 25 mai,
Je suis toujours sur l’île de Sein mais hier soir je me suis rapproché des gens en allant mouillé devant le bar « chez Bruno » , toujours aussi bien entretenu, d’un jaune bien visible… mais encore fermé pour cause de covid 29! Peu de temps après, deux autres voiliers baroudeurs sont venus mouillés sur ancre, juste derrière moi ( un Trismus 37 et un Josua pour les connaisseurs).
Ce matin, je me suis rebaladé vers l’Ouest , en m’appliquant à suivre le sentier côtier puis à zigzaguer entre les vieux murs de pierres, le tout pour 5 kilomètres de marche au milieu d’un décor unique toujours aussi envoutant, avec la mer toujours présente, des rochers innombrables ( à la mer basse de petite grande marée.
Le sphinx sur la route du "grand phare".
Belles ballades le long des sentiers côtiers fleuris: tapis de silènes, d'armérie, de fougéres, de chardons, de betteraves ... maritimes.
Et le petit chemin continue en se tortillant à sa guise. La visibilité est optimale : je vois le Menez Hom, les Tas de Pois et bien au-delà de la Pointe Saint Mathieu. Le « Caillou » est toujours aussi bas sur l’eau et dégarni d’arbre, de haies ( rares arbustes , vu un palmier ). Mais la nature est agressive, les murs de protections près du phare de Goulenez ont volé en éclats, l ‘énorme cordon de galets empiète de plus en plus sur la terre, l’érosion attaque d’autres parties de côte … A une sensation de plaisir s’ajoute une angoisse projetée sur l’avenir de l’île, malgré les imposants et longs murs de protection eux aussi parfois abimés par les tempêtes d’hiver.
Vue côté mer, le sillon de galets qui avance inexorablement.
Vue côté terre, le haut sillon engloutit les murets ...
Le sphinx sur la route du "grand phare".
Belles ballades le long des sentiers côtiers fleuris: tapis de silènes, d'armérie, de fougéres, de chardons, de betteraves ... maritimes.
Et le petit chemin continue en se tortillant à sa guise. La visibilité est optimale : je vois le Menez Hom, les Tas de Pois et bien au-delà de la Pointe Saint Mathieu. Le « Caillou » est toujours aussi bas sur l’eau et dégarni d’arbre, de haies ( rares arbustes , vu un palmier ). Mais la nature est agressive, les murs de protections près du phare de Goulenez ont volé en éclats, l ‘énorme cordon de galets empiète de plus en plus sur la terre, l’érosion attaque d’autres parties de côte … A une sensation de plaisir s’ajoute une angoisse projetée sur l’avenir de l’île, malgré les imposants et longs murs de protection eux aussi parfois abimés par les tempêtes d’hiver.
Vue côté mer, le sillon de galets qui avance inexorablement.
Vue côté terre, le haut sillon engloutit les murets ...
Vue côté rempart artificiel, c'est guère mieux.
En marchant, je m’imagine venir à Sein, voici tout juste un siècle où la population dépassait les 1000 habitants ( pour 0,5 KM2!!! ) : 1328 habitants en 1936 , voire même 2000 pendant les 6 mois d’été où les Paimpolais venaient pêcher. Chaque famille possédait son petit lopin de terre ( juste quelques M2 pour certains, plan cadastral inexistant parce que impossible à dresser) abrité par les murets. Toute l’île en était recouverte dans ses moindres recoins comme en témoignent quelques rares anciennes photos: un véritable puzzle. Invraisemblable: plus de 2500 habitants au kilomètre carré. Quelle ambiance. J’imagine les cris des enfants, le port saturé, les nombreux commerces et bistrots, la misère mais peut-être aussi une certaine opulence pour certains quand je regarde les quelques belles bâtisses sur le quai sud.
Difficile d'imaginer des dizaines et des dizaines d'embarcations dans ce port et pourtant ...
Difficile d'imaginer tous ces habitants et pourtant ... avec plus de 200 élèves dans les écoles ...
Difficile d'imaginer tous ces habitants et pourtant ... avec plus de 200 élèves dans les écoles ...
Je suis venu à Sein pour la première fois en août 1969, avec 2 potes. Nous étions parti du petit port de Bestré en Plogoff sur une petite vedette de passager en bois par temps de brouillard à couper au couteau. Comment pouvait-on naviguer ainsi dans des parages si rocheux et aux courants si violents? Tout à coup, Sein sortit de la brume, toute ensoleillée… Arrivé le matin et revenu en soirée, je ne me souviens pas de grand chose sauf de draps qui séchaient sur la plage de galet toute proche de la cale, de quelques jardinets exploités , du quai sud chaud et animé, de ses petites ruelles étroites et d’un nom en particulier « rue du coq hardi » , du chemin menant au « grand phare » … L'exode y battait son plein.
Rue typique de Sein.
Rue typique de Sein.
Puis j’y suis revenu en voilier à partir de 1980 et puis beaucoup plus souvent dans les années 1990-2008 et j'en garde des souvenirs mémorables de superbes ballades , de bonnes parties de pêche et de certaines soirées bien festives…
Java ( biquille) à l'échouage devant le quai sud en compagnie de deux autres voiliers: un trismus 37 ( dériveur) et un autre sur béquilles d'une douzaine de mètres ( quille longue). En y choisissant bien son emplacement, les posées sont franches et l'endroit très agréable.
Coronavirus oblige, je me retrouve bien loin de mes projets de remontée vers l’Ecosse et la Norvège. C’est attirant de voir différent , mais c’est bien aussi de mieux profiter des petits coins privilégiés. Venir à Sein, hors saison, y rester au moins une nuit, se représenter la vie des îliens, prendre le temps d’un petit tour de l’île à pied avec ses jumelles et son appareil photo et laisser sa cervelle vagabonder sans limite… Le pied. Mais sur quelques jours, c'est encore mieux.
Pour les navigateurs, je rajoute quelques mots sur les conditions de navigation et de mouillage à Sein.
Naviguer dans les parages de l'île et l'accès au port demandent beaucoup de prudence et de vigilance, en tenant compte de la force des courants et de la mer, en tenant compte de la force du vent et des coefficients de marée et en tenant compte de la difficulté de mouiller, en tenant compte des caractéristiques de son bateau.
A Sein, pas de pontons, pas de bouées visiteurs, il faut sortir son ancre.
La plupart des quillards ( ceux qui ne peuvent pas échouer) seront cantonnés dans l'avant port, dans un espace réduit et sur des fonds pas très sûrs. Les autres, dériveurs lestés et intégraux, biquilles, multicoques ... pourront se faufiler dans l'abri du port qui semble vaste. En réalité, les bouées de mouillage très nombreuses mais loin d'être toutes occupées avec parfois des cordages trainant à la surface de l'eau, limitent considérablement les possibilités de mouillage. Les emplacements restants sont rarement très sûrs. Les fonds sont souvent tapissés d'une bonne épaisseur d'algues, les ancres accrochent mal et difficilement. Les pourtours de l'abri sont assez souvent rocheux et même dans les endroits les plus sablonneux, de nombreuses roches disséminées ( même si elles ne sont pas énormes) rendent difficile un mouillage serein et peuvent abimer coque et safran.
A mon avis, les meilleurs mouillages se trouvent perpendiculairement au quai sud, en face des maisons et des quelques commerces où il est possible d'échouer sur des fonds sableux sains avec une ancre derrière et un bout d'amarrage devant enfilé dans les anneaux du quai. Mais ici, attention aux coups de vents du nord-est au sud-est ( en passant par l'est bien évidemment) qui peuvent engendrer du clapot et pousser les bateaux vers le quai, à marée haute.
A mon avis, enfin, il me semble déraisonnable de venir à Sein quand les conditions météorologiques ne sont pas correctes ou les prévisions mauvaises. Passés 20-25 noeuds de vent, la sécurité des mouillages sur ancre devient aléatoire et les bateaux dérapent souvent dans des espaces exigus avec des roches à proximité.
L'île de Sein est une merveilleuse escale , je dirais presque incontournable pour la beauté, le côté improbable et magique du lieu, mais... 3 fois mais , elle demande une bonne étude du lieu, des conditions météorologiques, de son accès, une bonne expérience des techniques de mouillage, doit tenir compte des capacités ou non du bateau à échouer ...
Dix fois oui pour se rendre à Sein avec son bateau, mais dix fois la prudence, dix fois la surveillance, la vigilance, dix fois l'anticipation ... Mais quel bonheur!
Java à l'échouage au fond du port devant la "grande" plage, sur fond de sable, d'algues vertes mais aussi parmi des roches éparpillées cachées sur les algues brunes et suffisamment agressives pour abîmer le bateau. Par sécurité, ce genre de mouillage nécessite une présence à bord lors de l'échouage et du "déséchouage" et parfois un déplacement de l'ancre pour éviter les chocs avec les roches. Le plaisir se mérite.
Kenavo.
Gildas.
Pour les navigateurs, je rajoute quelques mots sur les conditions de navigation et de mouillage à Sein.
Naviguer dans les parages de l'île et l'accès au port demandent beaucoup de prudence et de vigilance, en tenant compte de la force des courants et de la mer, en tenant compte de la force du vent et des coefficients de marée et en tenant compte de la difficulté de mouiller, en tenant compte des caractéristiques de son bateau.
A Sein, pas de pontons, pas de bouées visiteurs, il faut sortir son ancre.
La plupart des quillards ( ceux qui ne peuvent pas échouer) seront cantonnés dans l'avant port, dans un espace réduit et sur des fonds pas très sûrs. Les autres, dériveurs lestés et intégraux, biquilles, multicoques ... pourront se faufiler dans l'abri du port qui semble vaste. En réalité, les bouées de mouillage très nombreuses mais loin d'être toutes occupées avec parfois des cordages trainant à la surface de l'eau, limitent considérablement les possibilités de mouillage. Les emplacements restants sont rarement très sûrs. Les fonds sont souvent tapissés d'une bonne épaisseur d'algues, les ancres accrochent mal et difficilement. Les pourtours de l'abri sont assez souvent rocheux et même dans les endroits les plus sablonneux, de nombreuses roches disséminées ( même si elles ne sont pas énormes) rendent difficile un mouillage serein et peuvent abimer coque et safran.
A mon avis, les meilleurs mouillages se trouvent perpendiculairement au quai sud, en face des maisons et des quelques commerces où il est possible d'échouer sur des fonds sableux sains avec une ancre derrière et un bout d'amarrage devant enfilé dans les anneaux du quai. Mais ici, attention aux coups de vents du nord-est au sud-est ( en passant par l'est bien évidemment) qui peuvent engendrer du clapot et pousser les bateaux vers le quai, à marée haute.
A mon avis, enfin, il me semble déraisonnable de venir à Sein quand les conditions météorologiques ne sont pas correctes ou les prévisions mauvaises. Passés 20-25 noeuds de vent, la sécurité des mouillages sur ancre devient aléatoire et les bateaux dérapent souvent dans des espaces exigus avec des roches à proximité.
L'île de Sein est une merveilleuse escale , je dirais presque incontournable pour la beauté, le côté improbable et magique du lieu, mais... 3 fois mais , elle demande une bonne étude du lieu, des conditions météorologiques, de son accès, une bonne expérience des techniques de mouillage, doit tenir compte des capacités ou non du bateau à échouer ...
Dix fois oui pour se rendre à Sein avec son bateau, mais dix fois la prudence, dix fois la surveillance, la vigilance, dix fois l'anticipation ... Mais quel bonheur!
Java à l'échouage au fond du port devant la "grande" plage, sur fond de sable, d'algues vertes mais aussi parmi des roches éparpillées cachées sur les algues brunes et suffisamment agressives pour abîmer le bateau. Par sécurité, ce genre de mouillage nécessite une présence à bord lors de l'échouage et du "déséchouage" et parfois un déplacement de l'ancre pour éviter les chocs avec les roches. Le plaisir se mérite.
Kenavo.
Gildas.
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