vendredi 30 juillet 2021

Bretagne suite: de Paimpol à La Forêt Fouesnant.

Vendredi 23 juillet 2021, Mouillage de Lampaul à Ouessant. 


Mercredi dernier, j’ai navigué de Paimpol  aux Sept îles , les 3/4 du temps au moteur. Je suis passé entre Porz Even ( les femmes y venaient guetter le retour des terre-neuvas ou des "Islandais" revenant des campagnes de pêche) et la splendide île privée de St Rion puis je suis passé devant la propriété de Liliane Bettencourt à la pointe de l'Arcouest.  



                    Saint-Rion, une île magnifique, un véritable patchwork vu du ciel.





                                        La propriété de Liliane Bettencourt .




J'ai ensuite emprunté le chenal de Kerpont entre l'île de Bréhat et l'île Biniguet ( procédure en cours depuis une vingtaine d'années pour des rénovations de nombreuses bâtisses sans  demande de permis de construire).  




                            Chenal de Kerpont à marée haute ( à sec à marée basse)


    


           La chapelle Saint-Michel sur son tertre et le moulin à marée du Birlot en contre-bas.

                                               ( vue du chenal de Kerpont);


En fin de journée , j’ai mouillé aux Sept-îles par 10 mètres d’eau, devant le débarcadère entre l’île aux moines et l’île Bono en compagnie de 3 autres voiliers. Nous étions « au calme »,  plongés nuit et jour, dans le vacarme permanent des cris de goélands. Le vent faible et la mer belle permirent une nuit tranquille au pied des 2 îles escarpées , vertes avec de nombreuses roches abritant les nids de oiseaux nicheurs. 

Sur l’île aux moines , le phare domine le secteur et , en contrebas,  quelques bâtiments en pierre sont enchâssés dans la paroi et recouverts d’un toit d’ardoises très épaisses. 



                                                Le soleil se couche côté île aux moines...




                                                            Et se lève côté île Rouzic.


Hier, j’ai quitté l’archipel des Sept îles vers 6 heures 30. Le soleil pointait entre les îles  Bono et Rouzic. Le ciel était clair, le fond de l’air assez frisquet et le vent de nord-est soufflait mollement à 8-9 noeuds. Pendant 5-6 heures, le courant va être favorable à une moyenne de 1.5-2 noeuds.  Voiles en ciseaux , Java avançait à 4-5 noeuds sur le fond,  sur une mer belle. Je restais à distance de la côte pour éviter le plus possible les petites embarcations de pêche, le maximum de bouées de casier; ainsi la navigation est beaucoup plus reposante. 

Vers midi, j’étais à 3 miles au nord de l’île de Batz, le courant devenait neutre mais le vent, comme par hasard,  a forci à une quinzaine de noeuds et m’a permis de bien étaler le courant inverse de l’après-midi. 

J’avais pensé passer la nuit au mouillage  dans la ria  de l’Aber-Wrac’h  près du port mais les prévisions étaient favorables pour continuer sur Ouessant et y arriver juste avant la nuit tombante, et surtout le lendemain devait être très orageux. Le courant était à nouveau devenu favorable. Malheureusement le vent a brutalement disparu et le moteur a repris du service. J’avançais à 8-9 noeuds. Quelques petits dauphins m’ont accompagné de leurs magnifiques sauts pendant quelques minutes. L’orage est arrivé avec de puissants  éclairs et du vent virevoltant dans tous les sens , mais sans réellement beaucoup d’averses. Le ciel était sombre avec une ligne orange pastel à l’horizon vers l’ouest. Des lignes de grains circulaient un peu tout autour. Les côtes continentales avaient disparu et je devinais celles du nord d’Ouessant.  Vers 22 heures, je passai l’île  Keller. La côte déchiquetée était sombre, lugubre, angoissante.  La mer était chaotique dans ces courants très forts. Java roulait d’un bord sur l’autre. Le vent étant nul, j’avais enroulé les voiles: pas le moment de tomber en panne dans cet environnement hostile. Le phare du Créac’h commençait à balayer de ses éclats. Passé l’île Keller, le courant a commencé à s’inverser; j’arrivais une heure trop tard. La couverture nuageuse devenait très épaisse, très lourde, le ciel s’assombrissait rapidement. Il était temps d’arriver. J’ai contourné la pointe du Pern et le phare de Nividic avec ses éclats blancs.  




            A la nuit tombante, la pointe du Pern avec le phare du Ninidic à son extrémité .


J’ai laissé le phare de la jument aux éclats rouges sur tribord. Toute cette partie nord d’Ouessant est inhospitalière et fiche la trouille. J’ai vraiment hâte de m’en dépêtrer. J’ai l’impression de ne plus rien contrôler ; c’est terriblement flippant  surtout comme aujourd’hui à la nuit bien tombante avec un ciel très bas.

Je pensais pouvoir compter sur l’éclairage de la pleine lune pour me faciliter mon atterrissage au fond de la baie de Lampaul .  Malheureusement, elle était planquée  derrière une grosse épaisseur de nuages et la nuit  presque noire enveloppait la zone de mouillage. J’ai délaissé les premiers voiliers au mouillage , repéré le canot de sauvetage orange avec ma lampe Hope et ai « jeté » l’ancre à la première occasion. Dans ce contexte, il est difficile  de distinguer les divers bateaux non éclairés tout en continuant d’avancer. Vingt trois heures quinze, enfin, j’étais posé. 

Ce sont de telles journées qui me font aussi aimer la navigation à la voile. Je ressens des perceptions et des émotions multiples  parfois contradictoires ou opposées; je suis relâché ou tendu; je suis serein ou inquiet; je suis rêveur ou sur le qui-vive; je suis contemplatif ou super-attentif. Je ne risque pas ma peau, les circonstances ne sont pas réellement dangereuses mais malgré cela, le curseur émotionnel passe par tous les stades . Puis quand tout est clair et que le mouillage est assuré, je relâche complètement comme un ballon de baudruche que l’on perce. L’arrivée dans un port ou dans un abri reste toujours un moment privilégié de sensations fortes et  je dirais,  même par beau temps,  mais bien évidemment presque démesuré après une navigation musclée. 

En mer comme dans l’air, quand tu es au large ou en vol, quoique tu fasses, tu seras en navigation: aucun moyen de dire « pouce , je rentre à la maison et je reviens plus tard ». Non, tu es dedans et tu y resteras: angoissant parfois, envoûtant souvent mais il faut aimer sinon, c’est galère et tu n’y retournes pas .



La nuit fût plutôt calme mais au petit matin, les pluies orageuses intermittentes s’accompagnaient de bourrasques de vent. Les prévisions météorologiques du jour ne sont pas géniales: risque d’orages forts. Je préfère quitter mon mouillage sur ancre dont je ne connais pas les fonds pour aller plus sûrement m’agripper à une bouée visiteur devant Aod Korz ( Une bonne vingtaine sont à disposition des visiteurs , gratuitement, à la belle saison).  Le vent est très variable, de nul à assez  fort. 



                            Le mouillage de la baie de Lampaul au 2 ème 
plan.



L’après-midi, la dégradation s’est accentuée. Et entre 16 et 18 heures, l’orage a été très violent avec de fortes bourrasques de vent à 30-40 noeuds et surtout avec une pluie torrentielle comme je ne l’avais jamais vue, comme si des seaux d’eau se déversaient sans discontinuité sur le pont. La visibilité était nulle, je ne voyais même plus le voilier amarré à la bouée à 20 mètres de moi. Epoustouflant. Incroyable. J’imagine la même chose en navigation. Tu flottes dans l’inconnu , presqu’aveugle. Tu affales les voiles ( ou te mets à la cape?) en restant bien éloigné de la côte,  en surveillant ton GPS , bien au chaud à l’intérieur. De toute façon, tu n’as plus rien à faire dehors mais simplement attendre au chaud que cela se termine. 


Ainsi  les deux dernières journées ont été magnifiquement surprenantes et déroutantes  ( une belle journée de navigation avec une arrivée délicate, et une journée aux abris dans ma cabine d’un orage long et puissant) , en réalité de bien belles journées comme je les aime qui m’emmènent au fond d’un moi, atteignable uniquement dans certaines circonstances.   


Lundi 26 juillet.


Samedi après midi, j’ai randonné à pied dans le bourg puis vers Penn Ar Gored. Au bourg, même si elles ne sont pas très nombreuses à circuler, les voitures restent reines: même pas un seul espace piétonnier où tu pourrais être peinard… , pas d’espace convivial tranquille. L’aspect n’est pas très gai, ça manque de chaleur. 



                                                    Port de Lampaul presque à sec.







                                                         Et à marée haute.


J’adore les chemins côtiers qui permettent de découvrir des endroits intimement beaux, des points de vue singuliers. A pied, tu vois les choses doucement, à ton rythme , en silence; la nature ne fuit pas surtout si tu t’arrêtes dans la discrétion. Je découvre Porz Kored avec une possibilité de mouillage pommé par beau temps et petit coefficient de marée. Toute la pointe est déserte , recouverte de végétation rase, de landes rabougries avec quelques touffes de jasiones des montagnes  et d’arméries. J’entends les cris aigus et perçants des craves. Ils sont une dizaine qui volent en escadrille avant de se poser à distance.  Sur Ouessant,  l’habitat, c’est le bourg et surtout plein de petits hameaux disséminés. Les ruines sont rares et beaucoup de maisons, la plupart rachetées par des « touristes »  ont été rénovées en conservant les murs des jardins qui protègent du vent et des regards ( un peu).  Quelques jardins sont magnifiques et fleuris mais la plupart sont quelconques. Globalement, ça manque de couleurs, de végétation  et trop d’épaves de voitures polluent le paysage. 




            Quelques maisons aux beaux jardins dominant le petit port de Lampaul.


Le lendemain dimanche, j’ai loué un vélo électrique. J’ai roulé une bonne quarantaine de kilomètres en furetant d’ouest en est et du nord au sud sur toute l’île. Les côtes sont belles avec leurs falaises, leurs petits et rares mouillages « abrités », leurs roches chaotiques ou escarpées, avec la surface chahutée de la mer par les courants tout autour de l’île ( elle est plongée toute entière dans un bouillonnement quasiment permanent), avec des îlots austères et peu accessibles… La pointe du Pern est magnifique,  bien signalée par le phare du Nividic.



                                                    La pointe du Pern au nord-ouest. 


 L’île Keller , véritable château dans la mer, possède quelques bâtisses  habitées 3 mois par an par des parisiens… Le port d’arrivée des navettes , le Stiff, n’est pas très joli avec son grand quai troué. Les fonds sont profonds et le mouillage est difficile mais bien abrité des vents dominants. 



                                         L'île Keller , véritable château fort naturel.





                            Charmant petit abri de Calgrac'h près de l'île Keller, avec sa petite cale.



Ouessant est un fier vaisseau haut sur l’eau, aux maisons "volontairement" exposées aux intempéries, sans protection arborée qui ramassent de plein fouet chaque tempête: sûrement pas facile tous les jours. 





 Le covid ne perturbe  pas que les poumons ...




Hier, au petit matin, j’ai levé l’ancre pour me diriger vers le  Molène en passant par le Fromveur. Avec un coefficient de marée à 91, il ne faut pas se tromper d'horaire pour le franchir, ce courant qui peut atteindre 9 noeuds. Je l’ai passé peinard à l’étale, vite fait, bien fait sans me faire tabasser   malheureusement au moteur puisque le vent était insuffisant.  



                Le phare de la Jument à la pointe de Pors Doun à l'entrée ouest du Fromveur.




                                                            Le phare de Keréon vers l'est .



Je me suis amarré à une bouée dans le port de Molène qui depuis longtemps a toujours essayé de bien accueillir les plaisanciers malgré la petitesse du port qui échoue en grande partie à marée basse de grande marée. Actuellement une vingtaine de bouées sont à disposition à la belle saison, tarifées 20 euros la nuit. Douches chaudes et toilettes sont à disposition … et propres  (  normalement propres comme on devrait les trouver partout …). 




                                            Port de Molène avec la plage derrière les bateaux.



Voici des années que je n’étais pas venu à Molène que j’ai retrouvée presque inchangée. Le bourg,  calme, aux maisons sises dans le désordre, dans tous les sens, aux petites rues tordues goudronnées ,  aux passages piétonniers en terre étroits et zigzaguants , aux petits jardins plus ou moins entretenus, quasiment sans circulation de voitures… est agréable même s’il manque un peu de vitalité. 



                                                        Belle maison fleurie près du port.


Depuis mon dernier passage, le mythique restaurant-bar « Kastel An Daol », me rappelant bien des souvenirs,  est fermé. Faute de personnel, le restaurant « l’Archipel » ne sert plus que ses hôtes. Un nouveau bar «  chez Rachel » s’est ouvert devant le port et la plage avec une belle terrasse.  L’improbable  petit camping  au sud de l’île n’accueille ce jour que 3 ou 4 tentes et pourtant un séjour ici laisse certainement des souvenirs singuliers et authentiques. 


Depuis 2000 ans avant JC, Molène est une île de pêcheurs ( contrairement à Ouessant qui était une île de paysans et de marins ( armée, marine marchande) ,  avec jusqu’à 200 familles qui vivaient de la pêche dans les années 1940. Actuellement, il ne reste plus que quelques pêcheurs professionnels. 

Bien entendu, on ne peut quitter l’île sans en avoir effectué le tour sur le sentier côtier et qui, effectué à marée basse,  donne idée de l’environnement et de l’étendue rocheuse considérable. 

Le tourisme sur Molène reste encore assez confidentiel et  permet à l’île de conserver une véritable identité bien agréable et reposante qui redonne envie d’y revenir pour un plus long séjour ( aux grandes marées de septembre ?). 



Le mercredi,  au petit matin, à la marée haute, j’ai quitté le port de Molène  pour l’île de Sein.  Je me suis faufilé entre l’île de Quéménes et celle de Triélen, ai longé le petit et trapu phare des Pierres Noires sur bâbord avant d’entamer la descente sur Sein: beau temps, mer peu agitée, allure bon plein , tribord amure,  par vent agréable d’une quinzaine de noeuds.  Quel bonheur de pénétrer dans le port de Sein bordé de toutes ces plutôt grandes maisons colorées,  agglutinées les unes aux autres comme deux amphithéâtres accolées , celui du quai des Paimpolais à l’est et celui du quai sud à l’ouest. Ce sont bien un air de  vacances qui prévaut  même après le départ de la dernière vedette: la plage est animée, les enfants plongent du haut des jetées, les kayaks et padles se faufilent dans le port, 6 voiliers ( dont deux traditionnels) sont à l’échouage devant le quai sud, les joueurs de boules sont au bien là devant et de part et d’autres de chez « Bruno » , les murets des quais servent de terrasse , des bancs accueillent souvent des gens plus anciens ; mon tout forme une ambiance bon enfant, sans bruits artificiels parasites, décalée, avec le temps qui passe à sa véritable allure. Un plaisir rare.  


Bot Conan en Fouesnant; le vendredi 30 juillet 2021.


Après cinq bonnes semaines de déambulation maritime, Java retrouve sa belle baie de La Forêt et le magnifique mouillage devant Bot Conan. 

J’y suis arrivé hier soir vers 18 heures après une très agréable journée de navigation. Le matin, j’avais quitté le port à échouage de l’île de Sein vers 8h30, juste un peu avant la marée haute pour bénéficier du courant favorable. J’ai emprunté le chenal oriental pour gagner le raz de Sein, tout sage,  à cette heure de marée. Le Raz de sein épouvante bien des plaisanciers et constitue une véritable barrière que beaucoup hésitent à franchir ( « qui voit Sein, voit sa fin … »). Cependant, franchi au bon moment, par vent modéré,  il ne présente aucune difficulté.  Direction: pointe de Penmarc’h puis soit port de Lesconil aux pontons, soit mouillage à entrée de l’anse de Combrit  sur l’Odet ou  dans la baie de La Forêt. J’aime ces incertitudes de destination. Ce jour, toutes les bonnes conditions étaient alignées: mer plutôt belle ( sauf dans la baie d’Audierne et au sud de Penmarc’h où la mer est toujours désagréable et pour le moins clapoteuse) , beau temps, allure de bon  plein jusqu’à la tourelle cardinale sud de Spineg au sud du phare d’Eckmuhl puis du portant pour le reste du trajet. Vent de 8 à 15 noeuds. Que du plaisir.  En fin de journée, une dépression  assez creuse abordait la Manche avec des vents à plus de 40 noeuds et m’obligeait de dénicher un coin abrité. 


En mer, je ne m’ennuie jamais. Je n’ai que rarement hâte d’arriver quelque part même si je suis content d’y arriver ( surtout si le gros temps approche).  La seule chose qui me désole est de naviguer au moteur. Tant que j’avance à 2 noeuds, je m’abstiens de le démarrer. Mais cette année, la météo a été particulèrement pénible: ou pas de vent du tout ( souvent), ou vent pile poil dans le nez ( assez souvent) ou bien coup de vent ( assez souvent). J’ai donc tirer pas mal de bords.  Normalement, pour Java, la navigation au moteur représente au total 10-15% de la distance parcourue, cette année, ç’est 30%! 

J’ai l’impression qu’une tendance s’affirme de plus en plus, celle des voiliers à naviguer de plus en plus au moteur, même dans des conditions favorables pour hisser les voiles, celle aussi de naviguer à la voile … et au moteur en même temps… 


Kenavo ar wech all.


Gildas. 






jeudi 15 juillet 2021

Bretagne nord vers St Malo et Chausey

Saint Malo le mardi 6 juillet


Plus qu’un coup de vent, c’est bien une tempête qui a soufflé sur la Bretagne. Dans la nuit de lundi à mardi, la dépression Zyprian a engendré de violentes rafales dans toute la région, et notamment dans le Finistère. Les vents ont atteint des niveaux d'intensité presque inédits pour un été. 


Pire, cela faisait 52 ans et la fameuse tempête de 1969 que de tels niveaux n'avaient plus été enregistrés à cette période ! 146 km/h à Plougonvelin, 143 km/h à Ouessant, 113 km/h à Brest… De nombreux records saisonniers ont été battus. À titre d'exemple, le précédent record enregistré à Brest lors d'un mois de juillet était de 99,4 km/h, le 29 juillet 2019, indique France Bleu. 


J’étais bien aux abris dans la marina des Sablons à Saint Servan dont le seuil d’entrée est suffisamment bas pour pouvoir y entrer plus facilement que dans le port de Saint Malo qui nécessite le passage d’une écluse. A noter également la possibilité de caréner sur une cale (comme au Moulin Blanc à Brest ou au vieux port d’Ars en Ré par exemple);



Une dizaine de beaux muscadets côte à côte sur le terre plein da la marina de Saint Servan ( il y en aurait une centaine sur Saint-Malo et aux environs! Nostalgie, nostalgie!).


Le mercredi 7 juillet,


 j’ai quitté la marina pour me rendre sur l’île Cézembre distante de 2-3 miles située à l’est du joli phare du Grand Jardin ( magnifique maçonnerie en pierre de taille avec sa partie haute toute rouge). J’ai remonté la baie de Saint Malo tranquillement à la voile pour rejoindre le sud de île où j’ai mouillé à 200 mètres de l’embarcadère. 



                                                               Arrivée sur Cézembre.


La trajectoire de cette petite île escarpée  d’une dizaine d’hectares est plutôt mouvementée: 

* d’abord seulement une presqu’île puisque atteignable à pied depuis Saint Malo jusqu’au XV ème siècle

* puis vocation religieuse jusqu’u 17 ème

* puis vocation militaire jusqu’à 1920

* puis lieu de villégiature et de tourisme entre les guerres mondiales

        * puis l’armée allemande la transforme en place forte et la couvre de casemates, blockhaus, tranchées , galeries …. avec un grand nombre de canons.





* puis en aout 1944 bombardement alliés pendant 3 semaines avec largage de milliers et milliers de bombes ( parait-il l’endroit le plus bombardé au monde au prorata de sa taille !!!). Au moins 90% des soldats blessés ou tués avant de se rendre)

* puis interdiction de mettre les pieds sur l’île

* puis installation d’un restaurant près de la plage mais reste de l’île totalement interdite

* puis en 2018, « dépollution par la Marine Nationale » de la plage, du sentier de découverte, la gestion a été transférée du Ministère de la Défense au Conservatoire du Littoral . Mais le reste de l’île est toujours strictement interdit puisque non déminé!



           Le petit restaurant près de la cale et un des nombreux panneaux rouges ( zone non déminée).



Le chemin de découverte de 800 mètres de long permet de passer entre les différentes constructions en bétons plus ou moins enterrées.



                                    Chemin de découverte ouvert depuis 2 ans. 


 Les débris , notamment les canons détruits , sont restés figés depuis le bombardement. Le spectacle est particulier. La sensation de mort rôde sournoisement et je ne serai même pas étonné si un obus s’amusait à exploser. 



                    Les ouvrages en béton avaient bien résisté aux bombardements .


D’un côté, je ressentais de l’écoeurement, de  la tristesse, de la lassitude , de la révolte …parfois des bouffées subites  de recueillement,  et de l’autre les milliers de goélands  qui y nichent, braillards et agressifs, se moquaient éperdument de la connerie humaine qui a occasionné et occasionne tant de boucheries …



                                    Des milliers de goélands braillards et agressifs.


 Plus loin aux extrémités rocheuses de l’île , s’aggloméraient , comme prenant la pose, les petits cormorans. Je n’ai pas vu de pingouin torda ni de guillemot de Troll également présents. Près de la seule habitation , restaurant pendant les mois de juillet et d'août  ( mais fermé aujourd’hui), quelques hirondelles de rivages ( tirant sur le marron) et rustiques ( avec du rouge à la base du bec ) virevoltaient comme à leur habitude, de nombreux vulcains papillonnaient  au-dessus des herbes sauvages. 



                    Je n'ai jamais vu autant de vulcains que dans les Côtes d'Armor.


    Je n’ai pas vu un seul humain pendant cette ballade d’une bonne heure sur Cézembre. 



                      A part le chemin, toute la zone est interdite sauf aux nombreux oiseaux nicheurs.



Je reprends mon annexe, franchit les quelques rouleaux déferlants du bord de plage , grimpe sur Java , remonte l’ancre et quitte ce lieu quelque peu obsédant.



                        Très joli Phare du Grand Jardin à l'ouest de Cézembre. 


Et c’est parti pour  une première : l’archipel de Chausey distant de 16 miles à l’est nord-est. Chaussey a tendance à effrayer le marin: 14 mètres de marnage ( plus fortes marées d’Europe), de forts courants et des rochers à foison, pas de marina, quelques bouées pour visiteurs souvent blindées, des mouillages délicats à situer et à atteindre obligeant à zigzaguer entre les caillasses, bref le tout suffisant pour un peu d’appréhension mais pour le plaisir aussi.  Le vent s’est bien établi au nord pour une petite quinzaine de noeuds sur une mer belle,  conditions de mer idéales qu’est venue perturber une pluie bien drue durant les 3/4 de la traversée. Mais en arrivant sur Chausey, le temps s’est levé , je suis entré tranquillement à petite vitesse pour bien identifier les différents amers et finalement j’ai longé l’agglomérat des voiliers visiteurs scotchés à couple sur les bouées pour me réfugier plus vers le nord à 1/2 mile environ, au delà d’un étroit passage délimité par  deux cardinales, une  Est et une autre Ouest , pour jeter mon ancre sur des fonds de sable.  




                                                        Entrée du Sound avec la Grande île.


Au moins ici, je suis tranquille et peinard en compagnie de 3 autres bateaux mouillés bien à distance: pas d’annexe à passer et repasser, pas de bateau à couple dont certains arrivant sans défense, pas de bruit de frottement de coques les unes sur les autres,  moins de risque de collision, pas de cris, d’engueulades ( souvent le mec sur sa femme)… 

J’ai une bonne sensation en arrivant dans l’archipel que je n’imaginais pas comme cela ( malgré les quelques lectures effectuées et photos visionnées). Je voyais le sound plus exigu. De plus, le balisage est bon et il est facile de s’y repérer en étant attentif. Ceci étant, les courants et les multiples rocailles et rochers sont bien présents. Les courants sont bizarres: celui du flot et du jusant ayant une durée complètement inégale et donc une vitesse inégale , les directions et durée sont très différentes en fonction des endroits! Il faut être attentif. 


Habité depuis le néolithique, l’archipel a aussi une histoire intéressante. La Grande île de 46 hectares appartient à l’état pour le quart sud et le reste plus la totalité des îlots appartiennent à 3 familles depuis un siècle.  Les 352 ilots et les 52 îles ( constituèrent longtemps une bonne planque pour les pirates et les contrebandiers , et permirent également aux français et aux anglais de bien s’amuser à la « guéguerre »). 

Pendant des siècles, d’importantes carrières de granit ont été exploitées pour servir à de multiples  constructions : abbaye du Mont St Michel, remparts, maisons et églises de Granville , quais de St Malo, des manoirs du Cotentin … et même des trottoirs de Paris et Londres. Les carriers avaient leur village au Port  Homard.

Du XVII ème jusqu’à la fin du XIX ème siècle, la coupe du varech pour la production de la soude  employait 50 barilleurs ( brûleurs de varech) 6 mois de l’année. Ils habitaient dans le village des des Blainvilliers devenu résidence de quelques habitués. 



                                                   Village des Blainvilliers.


La pêche a également joué un rôle important avec des hauts et bas:  homards, poissons, praires, mytiliculture , ostréiculture … 

L’agriculture a perduré jusqu’en1989 avec des vaches qui animaient le joli bocage. 




Ballade dans la campagne avec un vrai bocage, des fontaines, des abreuvoirs, des murets, des prairies, des talus, de grands arbres ... sur un si petit espace. 


En réalité,  le tourisme, avec ses 200 000 visiteurs par an,  constitue l’essentiel de la vie économique de l’île: un hôtel, deux restaurants, une boutique supérette et de nombreux gites ouverts à la belle saison. 




Débarcadère à marée basse. 

                                            


                                                                   Le seul hôtel de l'archipel.        


Le reste de l’année, il ne resterait qu'une dizaine d’habitants imperturbables  et la plupart de la cinquantaine de maisons  sont vides en dehors de la belle saison, île fantôme. J’imagine les jours de tempête d’hiver…  On est bien loin du niveau de population qui avait justifié l’activité d’une école publique entre 1914 et 1972. 



                                                      Ecole à la taille de l'île, mais mignonne.


La « vraie » vie avec une véritable société à l’année, a disparu sur ce très bel archipel à éviter pendant les 5-6 semaines les plus chargées de l’été. 


Lundi 12 juillet,


J’ai largement parcouru l’île principale dans tous les sens , plutôt le matin pour éviter les cohortes de touristes.  



                    Vue du Sound vers le nord , près du débarcadère et de la grande cale.


Elle est petite , vallonnée, verdoyante, parfois âpre au nord et présente beaucoup de témoignages d’une véritable existence humaine passée : un style un peu anglais des maisons, des lavoirs, des fontaines, des anciennes carrières de granit, des bateaux qui dorment ou pourrissent au fond des petites baies sur de la vase ou du sable,  cachés derrière de nombreuses roches, des plages, un château, un fort, un phare, un ancien sémaphore, une ancienne ferme, une ancienne école, quelques cales, un quai, une estacade … Mais que reste  t-il des véritables occupants? 




                                        Grandes bâtisses au style particulier !




                     Bateaux planqués derrière une barrière de rochers ( doivent pas sortir souvent). 





Des moutons d'Ouessant à Chaussey (et de la vache Jersiaise à Ouessant)! Renaissance d'une agriculture?



        Le Château Renault du XVI ème siècle reconstruit au début du siècle passé par Louis Renault.


Le coefficient de marée est aux environs de 70-75 mais le marnage déjà à 9 mètres modifie grandement le paysage. Avant hier, la météo étant favorable, je suis parti m’échouer au milieu de l’archipel sur un banc de sable, presque seul au monde. 



                                        Java seul sur un banc de sable au milieu de l'archipel.




                                Vraiment seul , petit de Java au milieu de la photo.


A marée basse , j’en ai profiter pour me balader aux alentours . J’ai vu des tracteurs sortir de nulle part pour entretenir de vastes parcs ( à palourdes ?). J’ai même récolté quelques pieds de couteaux, huitres, palourdes, coques et une belle coquille saint Jacques. 





                                                            Petite pêche à pied sympa.


Hier, je suis revenu à mon mouillage, désert,  au dessus du sound. La pluie est revenue, le vent souffle à 15-20 noeuds et à marée haute, la protection n’est pas optimale. Décidément, cette année, le beau temps ne vient pas . Le short est au placard. 

Pendant 2 ou 3 jours, je ne descendrai pas du bateau, le clapot est trop fort et je manque de rien. Au contraire, ce sont des moments privilégiés presque obligatoires où je me retrouve vraiment seul.  De plus avec des  connexions internet et téléphonique sont quasiment inexistantes. Je rêve, je plane, je médite, je contemple … J’écris, je lis. J’ai attaqué du lourd: Marcel Proust, pour la première fois de ma vie!  Un seul bouquin de 2400 pages «  à la recherche du temps perdu ».  Je suis à la moitié de « du côté de chez Swann » . J’ai dû me reprendre à plusieurs fois pour m’accoutumer à ces longues phrases, à ces descriptions infinies,  à ces comparaisons incessantes, à ces absences d’actions… aux phrases que je devais parfois relire deux ou trois fois pour comprendre, sans oublier d’avoir le dictionnaire à portée de la main. J’ai découvert un style d’écriture complètement déroutant aux descriptions fines, infinies, précises que je trouve parfois d’une longue exagérée  ( lorsqu’il s’agit de décrire un ciel, une fleur, un talus …) mais qui deviennent très riches et subtiles lorsqu’elles touchent à la sensibilité humaine, aux sentiments … Je suis un peu déconcerté et impressionné. Je ne sais pas si je lirai le tout mais je me suis dit au moins le premier ouvrage et le dernier ouvrage  ( le temps retrouvé) sur les  7 contenus dans le bouquin. 

Naviguer, c’est aussi cela, prendre parfois le temps de se poser, d’arrêter le temps et vivre le moment, l’instant, de façon volontaire parfois,  mais trop souvent de manière un peu obligée, par défaut. 


Venir sur Chausey, c’est aussi rechercher le temps perdu ou passé, se retrouver dans un lieu présent presque artificiel ayant perdu toutes ses racines où seul subsistent des stigmates d’une vraie histoire.  Ce n’est pas un jugement mais simplement un constat qui malheureusement touche beaucoup le milieu insulaire. 


J’aurai en tout passé une semaine à Chausey, une semaine de sensations fortes avec des interrogations sur le fonctionnement de notre planète.  Dehors, le vent siffle dans les haubans, dedans le mobilier couine et grince dans les mouvements de coque hors d’atteinte du bruit sociétal pourtant tout proche .  Java twiste sur son ancre au gré du vent et des courants parfois cul au courant. Les nuages voyagent à toute vitesse derrière les hublots dans un ciel taché de bleu. Assis sur la banquette, mon corps se berce au balancement du bateau. 


On ne vient pas n’importe quand à Chausey. Il faut choisir le bon moment et le bon créneau météo au risque sinon de se faire bien branler. Assister aux fresques d’un marnage de 14 mètres est tentant mais il faut en assumer les contraintes. Ici, les colères de la nature sauvage doivent être terribles. Je ne veux pas voir cela ou alors bien au chaud derrière les carreaux d’une petite maison mais pas  sur un bateau.  

J’y reviendrai pas beau temps quand il est possible de profiter des mouillages perdus au milieu de l’archipel,  aux côtés, mais  pas trop proches,  des ilots occupés par les colonies d’oiseaux de mer qui viennent y nicher. On y devient un humain dans la nature. Sur la Grande île, on est touriste parmi les touristes. 


Mardi 13 juillet,


Finalement, j'ai décollé de Chausey tôt ce matin pour profiter de la marée descendante. Le vent souffle à une vingtaine de noeuds de Nord-ouest et c'est parti pour une allure de près pour Paimpol distante de 50 miles. Belle journée de mer avec un vent constant. Une heure avant d'arriver à la baie de Paimpol, le courant s'est inversé et j'ai terminé au moteur pour aller au mouillage près de la magnifique île de Saint Riom.   


Mercredi 14 juillet


J'ai gagné le port de Paimpol, ville et port que j'aime bien:  bonne protection du port,  et de belles et animées  ruelles tortueuses de la vieille ville aux belles bâtisses en pierre, avec notamment de nombreux commerces de produits locaux et de nombreuse galeries.

Beau feu d'artifice sur le port pour terminer la belle  journée ensoleillée ( la première depuis longtemps). 




                                                 Une des nombreuses ruelles pavées 




Kenavo ar wech all.


Gweltas.