Vendredi 23 juillet 2021, Mouillage de Lampaul à Ouessant.
Mercredi dernier, j’ai navigué de Paimpol aux Sept îles , les 3/4 du temps au moteur. Je suis passé entre Porz Even ( les femmes y venaient guetter le retour des terre-neuvas ou des "Islandais" revenant des campagnes de pêche) et la splendide île privée de St Rion puis je suis passé devant la propriété de Liliane Bettencourt à la pointe de l'Arcouest.
La propriété de Liliane Bettencourt .
J'ai ensuite emprunté le chenal de Kerpont entre l'île de Bréhat et l'île Biniguet ( procédure en cours depuis une vingtaine d'années pour des rénovations de nombreuses bâtisses sans demande de permis de construire).
Chenal de Kerpont à marée haute ( à sec à marée basse)
La chapelle Saint-Michel sur son tertre et le moulin à marée du Birlot en contre-bas.
( vue du chenal de Kerpont);
En fin de journée , j’ai mouillé aux Sept-îles par 10 mètres d’eau, devant le débarcadère entre l’île aux moines et l’île Bono en compagnie de 3 autres voiliers. Nous étions « au calme », plongés nuit et jour, dans le vacarme permanent des cris de goélands. Le vent faible et la mer belle permirent une nuit tranquille au pied des 2 îles escarpées , vertes avec de nombreuses roches abritant les nids de oiseaux nicheurs.
Sur l’île aux moines , le phare domine le secteur et , en contrebas, quelques bâtiments en pierre sont enchâssés dans la paroi et recouverts d’un toit d’ardoises très épaisses.
Le soleil se couche côté île aux moines...
Et se lève côté île Rouzic.
Hier, j’ai quitté l’archipel des Sept îles vers 6 heures 30. Le soleil pointait entre les îles Bono et Rouzic. Le ciel était clair, le fond de l’air assez frisquet et le vent de nord-est soufflait mollement à 8-9 noeuds. Pendant 5-6 heures, le courant va être favorable à une moyenne de 1.5-2 noeuds. Voiles en ciseaux , Java avançait à 4-5 noeuds sur le fond, sur une mer belle. Je restais à distance de la côte pour éviter le plus possible les petites embarcations de pêche, le maximum de bouées de casier; ainsi la navigation est beaucoup plus reposante.
Vers midi, j’étais à 3 miles au nord de l’île de Batz, le courant devenait neutre mais le vent, comme par hasard, a forci à une quinzaine de noeuds et m’a permis de bien étaler le courant inverse de l’après-midi.
J’avais pensé passer la nuit au mouillage dans la ria de l’Aber-Wrac’h près du port mais les prévisions étaient favorables pour continuer sur Ouessant et y arriver juste avant la nuit tombante, et surtout le lendemain devait être très orageux. Le courant était à nouveau devenu favorable. Malheureusement le vent a brutalement disparu et le moteur a repris du service. J’avançais à 8-9 noeuds. Quelques petits dauphins m’ont accompagné de leurs magnifiques sauts pendant quelques minutes. L’orage est arrivé avec de puissants éclairs et du vent virevoltant dans tous les sens , mais sans réellement beaucoup d’averses. Le ciel était sombre avec une ligne orange pastel à l’horizon vers l’ouest. Des lignes de grains circulaient un peu tout autour. Les côtes continentales avaient disparu et je devinais celles du nord d’Ouessant. Vers 22 heures, je passai l’île Keller. La côte déchiquetée était sombre, lugubre, angoissante. La mer était chaotique dans ces courants très forts. Java roulait d’un bord sur l’autre. Le vent étant nul, j’avais enroulé les voiles: pas le moment de tomber en panne dans cet environnement hostile. Le phare du Créac’h commençait à balayer de ses éclats. Passé l’île Keller, le courant a commencé à s’inverser; j’arrivais une heure trop tard. La couverture nuageuse devenait très épaisse, très lourde, le ciel s’assombrissait rapidement. Il était temps d’arriver. J’ai contourné la pointe du Pern et le phare de Nividic avec ses éclats blancs.
A la nuit tombante, la pointe du Pern avec le phare du Ninidic à son extrémité .
J’ai laissé le phare de la jument aux éclats rouges sur tribord. Toute cette partie nord d’Ouessant est inhospitalière et fiche la trouille. J’ai vraiment hâte de m’en dépêtrer. J’ai l’impression de ne plus rien contrôler ; c’est terriblement flippant surtout comme aujourd’hui à la nuit bien tombante avec un ciel très bas.
Je pensais pouvoir compter sur l’éclairage de la pleine lune pour me faciliter mon atterrissage au fond de la baie de Lampaul . Malheureusement, elle était planquée derrière une grosse épaisseur de nuages et la nuit presque noire enveloppait la zone de mouillage. J’ai délaissé les premiers voiliers au mouillage , repéré le canot de sauvetage orange avec ma lampe Hope et ai « jeté » l’ancre à la première occasion. Dans ce contexte, il est difficile de distinguer les divers bateaux non éclairés tout en continuant d’avancer. Vingt trois heures quinze, enfin, j’étais posé.
Ce sont de telles journées qui me font aussi aimer la navigation à la voile. Je ressens des perceptions et des émotions multiples parfois contradictoires ou opposées; je suis relâché ou tendu; je suis serein ou inquiet; je suis rêveur ou sur le qui-vive; je suis contemplatif ou super-attentif. Je ne risque pas ma peau, les circonstances ne sont pas réellement dangereuses mais malgré cela, le curseur émotionnel passe par tous les stades . Puis quand tout est clair et que le mouillage est assuré, je relâche complètement comme un ballon de baudruche que l’on perce. L’arrivée dans un port ou dans un abri reste toujours un moment privilégié de sensations fortes et je dirais, même par beau temps, mais bien évidemment presque démesuré après une navigation musclée.
En mer comme dans l’air, quand tu es au large ou en vol, quoique tu fasses, tu seras en navigation: aucun moyen de dire « pouce , je rentre à la maison et je reviens plus tard ». Non, tu es dedans et tu y resteras: angoissant parfois, envoûtant souvent mais il faut aimer sinon, c’est galère et tu n’y retournes pas .
La nuit fût plutôt calme mais au petit matin, les pluies orageuses intermittentes s’accompagnaient de bourrasques de vent. Les prévisions météorologiques du jour ne sont pas géniales: risque d’orages forts. Je préfère quitter mon mouillage sur ancre dont je ne connais pas les fonds pour aller plus sûrement m’agripper à une bouée visiteur devant Aod Korz ( Une bonne vingtaine sont à disposition des visiteurs , gratuitement, à la belle saison). Le vent est très variable, de nul à assez fort.
L’après-midi, la dégradation s’est accentuée. Et entre 16 et 18 heures, l’orage a été très violent avec de fortes bourrasques de vent à 30-40 noeuds et surtout avec une pluie torrentielle comme je ne l’avais jamais vue, comme si des seaux d’eau se déversaient sans discontinuité sur le pont. La visibilité était nulle, je ne voyais même plus le voilier amarré à la bouée à 20 mètres de moi. Epoustouflant. Incroyable. J’imagine la même chose en navigation. Tu flottes dans l’inconnu , presqu’aveugle. Tu affales les voiles ( ou te mets à la cape?) en restant bien éloigné de la côte, en surveillant ton GPS , bien au chaud à l’intérieur. De toute façon, tu n’as plus rien à faire dehors mais simplement attendre au chaud que cela se termine.
Ainsi les deux dernières journées ont été magnifiquement surprenantes et déroutantes ( une belle journée de navigation avec une arrivée délicate, et une journée aux abris dans ma cabine d’un orage long et puissant) , en réalité de bien belles journées comme je les aime qui m’emmènent au fond d’un moi, atteignable uniquement dans certaines circonstances.
Lundi 26 juillet.
Samedi après midi, j’ai randonné à pied dans le bourg puis vers Penn Ar Gored. Au bourg, même si elles ne sont pas très nombreuses à circuler, les voitures restent reines: même pas un seul espace piétonnier où tu pourrais être peinard… , pas d’espace convivial tranquille. L’aspect n’est pas très gai, ça manque de chaleur.
Port de Lampaul presque à sec.
Et à marée haute.
J’adore les chemins côtiers qui permettent de découvrir des endroits intimement beaux, des points de vue singuliers. A pied, tu vois les choses doucement, à ton rythme , en silence; la nature ne fuit pas surtout si tu t’arrêtes dans la discrétion. Je découvre Porz Kored avec une possibilité de mouillage pommé par beau temps et petit coefficient de marée. Toute la pointe est déserte , recouverte de végétation rase, de landes rabougries avec quelques touffes de jasiones des montagnes et d’arméries. J’entends les cris aigus et perçants des craves. Ils sont une dizaine qui volent en escadrille avant de se poser à distance. Sur Ouessant, l’habitat, c’est le bourg et surtout plein de petits hameaux disséminés. Les ruines sont rares et beaucoup de maisons, la plupart rachetées par des « touristes » ont été rénovées en conservant les murs des jardins qui protègent du vent et des regards ( un peu). Quelques jardins sont magnifiques et fleuris mais la plupart sont quelconques. Globalement, ça manque de couleurs, de végétation et trop d’épaves de voitures polluent le paysage.
Quelques maisons aux beaux jardins dominant le petit port de Lampaul.
Le lendemain dimanche, j’ai loué un vélo électrique. J’ai roulé une bonne quarantaine de kilomètres en furetant d’ouest en est et du nord au sud sur toute l’île. Les côtes sont belles avec leurs falaises, leurs petits et rares mouillages « abrités », leurs roches chaotiques ou escarpées, avec la surface chahutée de la mer par les courants tout autour de l’île ( elle est plongée toute entière dans un bouillonnement quasiment permanent), avec des îlots austères et peu accessibles… La pointe du Pern est magnifique, bien signalée par le phare du Nividic.
La pointe du Pern au nord-ouest.
L’île Keller , véritable château dans la mer, possède quelques bâtisses habitées 3 mois par an par des parisiens… Le port d’arrivée des navettes , le Stiff, n’est pas très joli avec son grand quai troué. Les fonds sont profonds et le mouillage est difficile mais bien abrité des vents dominants.
L'île Keller , véritable château fort naturel.
Charmant petit abri de Calgrac'h près de l'île Keller, avec sa petite cale.
Ouessant est un fier vaisseau haut sur l’eau, aux maisons "volontairement" exposées aux intempéries, sans protection arborée qui ramassent de plein fouet chaque tempête: sûrement pas facile tous les jours.
Hier, au petit matin, j’ai levé l’ancre pour me diriger vers le Molène en passant par le Fromveur. Avec un coefficient de marée à 91, il ne faut pas se tromper d'horaire pour le franchir, ce courant qui peut atteindre 9 noeuds. Je l’ai passé peinard à l’étale, vite fait, bien fait sans me faire tabasser malheureusement au moteur puisque le vent était insuffisant.
Le phare de la Jument à la pointe de Pors Doun à l'entrée ouest du Fromveur.
Le phare de Keréon vers l'est .
Je me suis amarré à une bouée dans le port de Molène qui depuis longtemps a toujours essayé de bien accueillir les plaisanciers malgré la petitesse du port qui échoue en grande partie à marée basse de grande marée. Actuellement une vingtaine de bouées sont à disposition à la belle saison, tarifées 20 euros la nuit. Douches chaudes et toilettes sont à disposition … et propres ( normalement propres comme on devrait les trouver partout …).
Port de Molène avec la plage derrière les bateaux.
Voici des années que je n’étais pas venu à Molène que j’ai retrouvée presque inchangée. Le bourg, calme, aux maisons sises dans le désordre, dans tous les sens, aux petites rues tordues goudronnées , aux passages piétonniers en terre étroits et zigzaguants , aux petits jardins plus ou moins entretenus, quasiment sans circulation de voitures… est agréable même s’il manque un peu de vitalité.
Belle maison fleurie près du port.
Depuis mon dernier passage, le mythique restaurant-bar « Kastel An Daol », me rappelant bien des souvenirs, est fermé. Faute de personnel, le restaurant « l’Archipel » ne sert plus que ses hôtes. Un nouveau bar « chez Rachel » s’est ouvert devant le port et la plage avec une belle terrasse. L’improbable petit camping au sud de l’île n’accueille ce jour que 3 ou 4 tentes et pourtant un séjour ici laisse certainement des souvenirs singuliers et authentiques.
Depuis 2000 ans avant JC, Molène est une île de pêcheurs ( contrairement à Ouessant qui était une île de paysans et de marins ( armée, marine marchande) , avec jusqu’à 200 familles qui vivaient de la pêche dans les années 1940. Actuellement, il ne reste plus que quelques pêcheurs professionnels.
Bien entendu, on ne peut quitter l’île sans en avoir effectué le tour sur le sentier côtier et qui, effectué à marée basse, donne idée de l’environnement et de l’étendue rocheuse considérable.
Le tourisme sur Molène reste encore assez confidentiel et permet à l’île de conserver une véritable identité bien agréable et reposante qui redonne envie d’y revenir pour un plus long séjour ( aux grandes marées de septembre ?).
Le mercredi, au petit matin, à la marée haute, j’ai quitté le port de Molène pour l’île de Sein. Je me suis faufilé entre l’île de Quéménes et celle de Triélen, ai longé le petit et trapu phare des Pierres Noires sur bâbord avant d’entamer la descente sur Sein: beau temps, mer peu agitée, allure bon plein , tribord amure, par vent agréable d’une quinzaine de noeuds. Quel bonheur de pénétrer dans le port de Sein bordé de toutes ces plutôt grandes maisons colorées, agglutinées les unes aux autres comme deux amphithéâtres accolées , celui du quai des Paimpolais à l’est et celui du quai sud à l’ouest. Ce sont bien un air de vacances qui prévaut même après le départ de la dernière vedette: la plage est animée, les enfants plongent du haut des jetées, les kayaks et padles se faufilent dans le port, 6 voiliers ( dont deux traditionnels) sont à l’échouage devant le quai sud, les joueurs de boules sont au bien là devant et de part et d’autres de chez « Bruno » , les murets des quais servent de terrasse , des bancs accueillent souvent des gens plus anciens ; mon tout forme une ambiance bon enfant, sans bruits artificiels parasites, décalée, avec le temps qui passe à sa véritable allure. Un plaisir rare.
Bot Conan en Fouesnant; le vendredi 30 juillet 2021.
Après cinq bonnes semaines de déambulation maritime, Java retrouve sa belle baie de La Forêt et le magnifique mouillage devant Bot Conan.
J’y suis arrivé hier soir vers 18 heures après une très agréable journée de navigation. Le matin, j’avais quitté le port à échouage de l’île de Sein vers 8h30, juste un peu avant la marée haute pour bénéficier du courant favorable. J’ai emprunté le chenal oriental pour gagner le raz de Sein, tout sage, à cette heure de marée. Le Raz de sein épouvante bien des plaisanciers et constitue une véritable barrière que beaucoup hésitent à franchir ( « qui voit Sein, voit sa fin … »). Cependant, franchi au bon moment, par vent modéré, il ne présente aucune difficulté. Direction: pointe de Penmarc’h puis soit port de Lesconil aux pontons, soit mouillage à entrée de l’anse de Combrit sur l’Odet ou dans la baie de La Forêt. J’aime ces incertitudes de destination. Ce jour, toutes les bonnes conditions étaient alignées: mer plutôt belle ( sauf dans la baie d’Audierne et au sud de Penmarc’h où la mer est toujours désagréable et pour le moins clapoteuse) , beau temps, allure de bon plein jusqu’à la tourelle cardinale sud de Spineg au sud du phare d’Eckmuhl puis du portant pour le reste du trajet. Vent de 8 à 15 noeuds. Que du plaisir. En fin de journée, une dépression assez creuse abordait la Manche avec des vents à plus de 40 noeuds et m’obligeait de dénicher un coin abrité.
En mer, je ne m’ennuie jamais. Je n’ai que rarement hâte d’arriver quelque part même si je suis content d’y arriver ( surtout si le gros temps approche). La seule chose qui me désole est de naviguer au moteur. Tant que j’avance à 2 noeuds, je m’abstiens de le démarrer. Mais cette année, la météo a été particulèrement pénible: ou pas de vent du tout ( souvent), ou vent pile poil dans le nez ( assez souvent) ou bien coup de vent ( assez souvent). J’ai donc tirer pas mal de bords. Normalement, pour Java, la navigation au moteur représente au total 10-15% de la distance parcourue, cette année, ç’est 30%!
J’ai l’impression qu’une tendance s’affirme de plus en plus, celle des voiliers à naviguer de plus en plus au moteur, même dans des conditions favorables pour hisser les voiles, celle aussi de naviguer à la voile … et au moteur en même temps…
Kenavo ar wech all.
Gildas.
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