jeudi 15 juillet 2021

Bretagne nord vers St Malo et Chausey

Saint Malo le mardi 6 juillet


Plus qu’un coup de vent, c’est bien une tempête qui a soufflé sur la Bretagne. Dans la nuit de lundi à mardi, la dépression Zyprian a engendré de violentes rafales dans toute la région, et notamment dans le Finistère. Les vents ont atteint des niveaux d'intensité presque inédits pour un été. 


Pire, cela faisait 52 ans et la fameuse tempête de 1969 que de tels niveaux n'avaient plus été enregistrés à cette période ! 146 km/h à Plougonvelin, 143 km/h à Ouessant, 113 km/h à Brest… De nombreux records saisonniers ont été battus. À titre d'exemple, le précédent record enregistré à Brest lors d'un mois de juillet était de 99,4 km/h, le 29 juillet 2019, indique France Bleu. 


J’étais bien aux abris dans la marina des Sablons à Saint Servan dont le seuil d’entrée est suffisamment bas pour pouvoir y entrer plus facilement que dans le port de Saint Malo qui nécessite le passage d’une écluse. A noter également la possibilité de caréner sur une cale (comme au Moulin Blanc à Brest ou au vieux port d’Ars en Ré par exemple);



Une dizaine de beaux muscadets côte à côte sur le terre plein da la marina de Saint Servan ( il y en aurait une centaine sur Saint-Malo et aux environs! Nostalgie, nostalgie!).


Le mercredi 7 juillet,


 j’ai quitté la marina pour me rendre sur l’île Cézembre distante de 2-3 miles située à l’est du joli phare du Grand Jardin ( magnifique maçonnerie en pierre de taille avec sa partie haute toute rouge). J’ai remonté la baie de Saint Malo tranquillement à la voile pour rejoindre le sud de île où j’ai mouillé à 200 mètres de l’embarcadère. 



                                                               Arrivée sur Cézembre.


La trajectoire de cette petite île escarpée  d’une dizaine d’hectares est plutôt mouvementée: 

* d’abord seulement une presqu’île puisque atteignable à pied depuis Saint Malo jusqu’au XV ème siècle

* puis vocation religieuse jusqu’u 17 ème

* puis vocation militaire jusqu’à 1920

* puis lieu de villégiature et de tourisme entre les guerres mondiales

        * puis l’armée allemande la transforme en place forte et la couvre de casemates, blockhaus, tranchées , galeries …. avec un grand nombre de canons.





* puis en aout 1944 bombardement alliés pendant 3 semaines avec largage de milliers et milliers de bombes ( parait-il l’endroit le plus bombardé au monde au prorata de sa taille !!!). Au moins 90% des soldats blessés ou tués avant de se rendre)

* puis interdiction de mettre les pieds sur l’île

* puis installation d’un restaurant près de la plage mais reste de l’île totalement interdite

* puis en 2018, « dépollution par la Marine Nationale » de la plage, du sentier de découverte, la gestion a été transférée du Ministère de la Défense au Conservatoire du Littoral . Mais le reste de l’île est toujours strictement interdit puisque non déminé!



           Le petit restaurant près de la cale et un des nombreux panneaux rouges ( zone non déminée).



Le chemin de découverte de 800 mètres de long permet de passer entre les différentes constructions en bétons plus ou moins enterrées.



                                    Chemin de découverte ouvert depuis 2 ans. 


 Les débris , notamment les canons détruits , sont restés figés depuis le bombardement. Le spectacle est particulier. La sensation de mort rôde sournoisement et je ne serai même pas étonné si un obus s’amusait à exploser. 



                    Les ouvrages en béton avaient bien résisté aux bombardements .


D’un côté, je ressentais de l’écoeurement, de  la tristesse, de la lassitude , de la révolte …parfois des bouffées subites  de recueillement,  et de l’autre les milliers de goélands  qui y nichent, braillards et agressifs, se moquaient éperdument de la connerie humaine qui a occasionné et occasionne tant de boucheries …



                                    Des milliers de goélands braillards et agressifs.


 Plus loin aux extrémités rocheuses de l’île , s’aggloméraient , comme prenant la pose, les petits cormorans. Je n’ai pas vu de pingouin torda ni de guillemot de Troll également présents. Près de la seule habitation , restaurant pendant les mois de juillet et d'août  ( mais fermé aujourd’hui), quelques hirondelles de rivages ( tirant sur le marron) et rustiques ( avec du rouge à la base du bec ) virevoltaient comme à leur habitude, de nombreux vulcains papillonnaient  au-dessus des herbes sauvages. 



                    Je n'ai jamais vu autant de vulcains que dans les Côtes d'Armor.


    Je n’ai pas vu un seul humain pendant cette ballade d’une bonne heure sur Cézembre. 



                      A part le chemin, toute la zone est interdite sauf aux nombreux oiseaux nicheurs.



Je reprends mon annexe, franchit les quelques rouleaux déferlants du bord de plage , grimpe sur Java , remonte l’ancre et quitte ce lieu quelque peu obsédant.



                        Très joli Phare du Grand Jardin à l'ouest de Cézembre. 


Et c’est parti pour  une première : l’archipel de Chausey distant de 16 miles à l’est nord-est. Chaussey a tendance à effrayer le marin: 14 mètres de marnage ( plus fortes marées d’Europe), de forts courants et des rochers à foison, pas de marina, quelques bouées pour visiteurs souvent blindées, des mouillages délicats à situer et à atteindre obligeant à zigzaguer entre les caillasses, bref le tout suffisant pour un peu d’appréhension mais pour le plaisir aussi.  Le vent s’est bien établi au nord pour une petite quinzaine de noeuds sur une mer belle,  conditions de mer idéales qu’est venue perturber une pluie bien drue durant les 3/4 de la traversée. Mais en arrivant sur Chausey, le temps s’est levé , je suis entré tranquillement à petite vitesse pour bien identifier les différents amers et finalement j’ai longé l’agglomérat des voiliers visiteurs scotchés à couple sur les bouées pour me réfugier plus vers le nord à 1/2 mile environ, au delà d’un étroit passage délimité par  deux cardinales, une  Est et une autre Ouest , pour jeter mon ancre sur des fonds de sable.  




                                                        Entrée du Sound avec la Grande île.


Au moins ici, je suis tranquille et peinard en compagnie de 3 autres bateaux mouillés bien à distance: pas d’annexe à passer et repasser, pas de bateau à couple dont certains arrivant sans défense, pas de bruit de frottement de coques les unes sur les autres,  moins de risque de collision, pas de cris, d’engueulades ( souvent le mec sur sa femme)… 

J’ai une bonne sensation en arrivant dans l’archipel que je n’imaginais pas comme cela ( malgré les quelques lectures effectuées et photos visionnées). Je voyais le sound plus exigu. De plus, le balisage est bon et il est facile de s’y repérer en étant attentif. Ceci étant, les courants et les multiples rocailles et rochers sont bien présents. Les courants sont bizarres: celui du flot et du jusant ayant une durée complètement inégale et donc une vitesse inégale , les directions et durée sont très différentes en fonction des endroits! Il faut être attentif. 


Habité depuis le néolithique, l’archipel a aussi une histoire intéressante. La Grande île de 46 hectares appartient à l’état pour le quart sud et le reste plus la totalité des îlots appartiennent à 3 familles depuis un siècle.  Les 352 ilots et les 52 îles ( constituèrent longtemps une bonne planque pour les pirates et les contrebandiers , et permirent également aux français et aux anglais de bien s’amuser à la « guéguerre »). 

Pendant des siècles, d’importantes carrières de granit ont été exploitées pour servir à de multiples  constructions : abbaye du Mont St Michel, remparts, maisons et églises de Granville , quais de St Malo, des manoirs du Cotentin … et même des trottoirs de Paris et Londres. Les carriers avaient leur village au Port  Homard.

Du XVII ème jusqu’à la fin du XIX ème siècle, la coupe du varech pour la production de la soude  employait 50 barilleurs ( brûleurs de varech) 6 mois de l’année. Ils habitaient dans le village des des Blainvilliers devenu résidence de quelques habitués. 



                                                   Village des Blainvilliers.


La pêche a également joué un rôle important avec des hauts et bas:  homards, poissons, praires, mytiliculture , ostréiculture … 

L’agriculture a perduré jusqu’en1989 avec des vaches qui animaient le joli bocage. 




Ballade dans la campagne avec un vrai bocage, des fontaines, des abreuvoirs, des murets, des prairies, des talus, de grands arbres ... sur un si petit espace. 


En réalité,  le tourisme, avec ses 200 000 visiteurs par an,  constitue l’essentiel de la vie économique de l’île: un hôtel, deux restaurants, une boutique supérette et de nombreux gites ouverts à la belle saison. 




Débarcadère à marée basse. 

                                            


                                                                   Le seul hôtel de l'archipel.        


Le reste de l’année, il ne resterait qu'une dizaine d’habitants imperturbables  et la plupart de la cinquantaine de maisons  sont vides en dehors de la belle saison, île fantôme. J’imagine les jours de tempête d’hiver…  On est bien loin du niveau de population qui avait justifié l’activité d’une école publique entre 1914 et 1972. 



                                                      Ecole à la taille de l'île, mais mignonne.


La « vraie » vie avec une véritable société à l’année, a disparu sur ce très bel archipel à éviter pendant les 5-6 semaines les plus chargées de l’été. 


Lundi 12 juillet,


J’ai largement parcouru l’île principale dans tous les sens , plutôt le matin pour éviter les cohortes de touristes.  



                    Vue du Sound vers le nord , près du débarcadère et de la grande cale.


Elle est petite , vallonnée, verdoyante, parfois âpre au nord et présente beaucoup de témoignages d’une véritable existence humaine passée : un style un peu anglais des maisons, des lavoirs, des fontaines, des anciennes carrières de granit, des bateaux qui dorment ou pourrissent au fond des petites baies sur de la vase ou du sable,  cachés derrière de nombreuses roches, des plages, un château, un fort, un phare, un ancien sémaphore, une ancienne ferme, une ancienne école, quelques cales, un quai, une estacade … Mais que reste  t-il des véritables occupants? 




                                        Grandes bâtisses au style particulier !




                     Bateaux planqués derrière une barrière de rochers ( doivent pas sortir souvent). 





Des moutons d'Ouessant à Chaussey (et de la vache Jersiaise à Ouessant)! Renaissance d'une agriculture?



        Le Château Renault du XVI ème siècle reconstruit au début du siècle passé par Louis Renault.


Le coefficient de marée est aux environs de 70-75 mais le marnage déjà à 9 mètres modifie grandement le paysage. Avant hier, la météo étant favorable, je suis parti m’échouer au milieu de l’archipel sur un banc de sable, presque seul au monde. 



                                        Java seul sur un banc de sable au milieu de l'archipel.




                                Vraiment seul , petit de Java au milieu de la photo.


A marée basse , j’en ai profiter pour me balader aux alentours . J’ai vu des tracteurs sortir de nulle part pour entretenir de vastes parcs ( à palourdes ?). J’ai même récolté quelques pieds de couteaux, huitres, palourdes, coques et une belle coquille saint Jacques. 





                                                            Petite pêche à pied sympa.


Hier, je suis revenu à mon mouillage, désert,  au dessus du sound. La pluie est revenue, le vent souffle à 15-20 noeuds et à marée haute, la protection n’est pas optimale. Décidément, cette année, le beau temps ne vient pas . Le short est au placard. 

Pendant 2 ou 3 jours, je ne descendrai pas du bateau, le clapot est trop fort et je manque de rien. Au contraire, ce sont des moments privilégiés presque obligatoires où je me retrouve vraiment seul.  De plus avec des  connexions internet et téléphonique sont quasiment inexistantes. Je rêve, je plane, je médite, je contemple … J’écris, je lis. J’ai attaqué du lourd: Marcel Proust, pour la première fois de ma vie!  Un seul bouquin de 2400 pages «  à la recherche du temps perdu ».  Je suis à la moitié de « du côté de chez Swann » . J’ai dû me reprendre à plusieurs fois pour m’accoutumer à ces longues phrases, à ces descriptions infinies,  à ces comparaisons incessantes, à ces absences d’actions… aux phrases que je devais parfois relire deux ou trois fois pour comprendre, sans oublier d’avoir le dictionnaire à portée de la main. J’ai découvert un style d’écriture complètement déroutant aux descriptions fines, infinies, précises que je trouve parfois d’une longue exagérée  ( lorsqu’il s’agit de décrire un ciel, une fleur, un talus …) mais qui deviennent très riches et subtiles lorsqu’elles touchent à la sensibilité humaine, aux sentiments … Je suis un peu déconcerté et impressionné. Je ne sais pas si je lirai le tout mais je me suis dit au moins le premier ouvrage et le dernier ouvrage  ( le temps retrouvé) sur les  7 contenus dans le bouquin. 

Naviguer, c’est aussi cela, prendre parfois le temps de se poser, d’arrêter le temps et vivre le moment, l’instant, de façon volontaire parfois,  mais trop souvent de manière un peu obligée, par défaut. 


Venir sur Chausey, c’est aussi rechercher le temps perdu ou passé, se retrouver dans un lieu présent presque artificiel ayant perdu toutes ses racines où seul subsistent des stigmates d’une vraie histoire.  Ce n’est pas un jugement mais simplement un constat qui malheureusement touche beaucoup le milieu insulaire. 


J’aurai en tout passé une semaine à Chausey, une semaine de sensations fortes avec des interrogations sur le fonctionnement de notre planète.  Dehors, le vent siffle dans les haubans, dedans le mobilier couine et grince dans les mouvements de coque hors d’atteinte du bruit sociétal pourtant tout proche .  Java twiste sur son ancre au gré du vent et des courants parfois cul au courant. Les nuages voyagent à toute vitesse derrière les hublots dans un ciel taché de bleu. Assis sur la banquette, mon corps se berce au balancement du bateau. 


On ne vient pas n’importe quand à Chausey. Il faut choisir le bon moment et le bon créneau météo au risque sinon de se faire bien branler. Assister aux fresques d’un marnage de 14 mètres est tentant mais il faut en assumer les contraintes. Ici, les colères de la nature sauvage doivent être terribles. Je ne veux pas voir cela ou alors bien au chaud derrière les carreaux d’une petite maison mais pas  sur un bateau.  

J’y reviendrai pas beau temps quand il est possible de profiter des mouillages perdus au milieu de l’archipel,  aux côtés, mais  pas trop proches,  des ilots occupés par les colonies d’oiseaux de mer qui viennent y nicher. On y devient un humain dans la nature. Sur la Grande île, on est touriste parmi les touristes. 


Mardi 13 juillet,


Finalement, j'ai décollé de Chausey tôt ce matin pour profiter de la marée descendante. Le vent souffle à une vingtaine de noeuds de Nord-ouest et c'est parti pour une allure de près pour Paimpol distante de 50 miles. Belle journée de mer avec un vent constant. Une heure avant d'arriver à la baie de Paimpol, le courant s'est inversé et j'ai terminé au moteur pour aller au mouillage près de la magnifique île de Saint Riom.   


Mercredi 14 juillet


J'ai gagné le port de Paimpol, ville et port que j'aime bien:  bonne protection du port,  et de belles et animées  ruelles tortueuses de la vieille ville aux belles bâtisses en pierre, avec notamment de nombreux commerces de produits locaux et de nombreuse galeries.

Beau feu d'artifice sur le port pour terminer la belle  journée ensoleillée ( la première depuis longtemps). 




                                                 Une des nombreuses ruelles pavées 




Kenavo ar wech all.


Gweltas.


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